9 septembre 2013

Velvet Goldmine


Titre original : Velvet Goldmine
Réalisateur : Todd Haynes
Avec : Jonathan Rhys-Meyers, Ewan McGregor, Toni Collette, Christian Bale...
Date de sortie : 1998

Note : 
♥♥♥♥♥

"'I knew I should create a sensation', gasped the Rocket. And he went out."

Il existe de ces films dont on a du mal à se faire immédiatement une opinion. Le genre de films après lesquels on reste le regard fixé sur l'écran en se demandant, au fond, ce qu'on vient de voir : était-ce un chef-d'œuvre ou un navet ? Une comédie ou un drame ? Cette drôle de mise en scène était-elle originale ou grotesque ? Suis-je sous le charme ou déçue ? Des films-OVNI, uniques en leur genre, déroutants de par leur totale originalité. Des films qu'il faut souvent revoir plusieurs fois pour réellement les apprécier pour ce qu'ils sont:

Velvet Goldmine fait partie de ces OVNI inclassables. Peu connu du grand public (malgré un casting plus que prometteur), ce troisième long-métrage de Todd Haynes (surtout célèbre depuis pour son biopic génialement inventif sur Bob Dylan, I'm Not There) a toutefois acquis un statut culte pour une poignée de fans, tel un Rocky Horror Picture Show tendance glam rock. Sauf que Velvet Goldmine est bien plus qu'un délire parodico-absurde que personne n'a jamais pris au sérieux ; c'est également un vrai, beau et bon film pour lequel j'ai eu un énorme coup de cœur.

L'histoire ? Nous sommes en 1984, au siège du journal new-yorkais The Herald. Arthur Stewart (Christian Bale), journaliste anglais, est chargé de rédiger un papier sur la pop-star Brian Slade (Jonathan Rhys-Meyers), icône glam rock des années 1970, dont la popularité avait brusquement chuté après que le chanteur ait mis en scène son propre assassinat en plein concert. Arthur, lui-même fan de Slade dix ans plus tôt, va retracer le parcours de la star déchue en interviewant son entourage - ex-manager, ex-femme, etc. Nous suivons alors Brian de son enfance à sa disparition de la scène publique, son évolution, ses succès, son mariage à l'excentrique Mandy (Toni Collette), sa relation amoureuse avec le chanteur Curt Wild (Ewan McGregor)... Bref, une sorte de biopic fictif qui nous plonge au cœur de la scène glam rock de l'Angleterre des seventies.

Brian Slade (Jonathan Rhys-Meyers) sur scène, tout en paillettes

La narration de Velvet Goldmine, totalement décousue et non chronologique, est fortelement inspirée du célèbre Citizen Kane d'Orson Welles ; là aussi, on découvrait l'existence de Kane à travers diverses interviews (et autant de points de vue subjectifs) menées par un journaliste enquêtant sur sa vie. Le film alterne les scènes où Arthur mène ses interviews en 1984, et les nombreuses scènes de flashback où l'on voit Brian Slade évoluer au début des années 1970. Ces dernières sont accompagnées de la voix-off du narrateur en question - dans un premier temps l'ancien manager de Brian, et dans un deuxième temps Mandy Slade, son ex-femme. À cette reconstitution déconstruite viennent s'ajouter les propres souvenirs d'Arthur, dont le destin a croisé celui de ses idoles dans le Londres de l'époque...

Bien que le personnage de Brian Slade et les autres héros du film soient fictifs, Vevet Goldmine est ultra-référencé et ne s'en cache pas. Il suffit de voir les premières images de Brian sur scène pour s'en apercevoir : de la coiffure au costume en passant par le maquillage et le style musical, Brian Slade est le sosie à peine dissimulé de David Bowie (le titre du film est d'ailleurs celui d'une chanson de Bowie). Même carrière dans le glam, mêmes looks à différentes époques de leur vie (des cheveux longs et robes longues en satin à la fin des années 1960 à la coupe Ziggy Stardust et platform boots des années 1972-1973), même épouse américaine, même bisexualité, même alter ego fictif venu de l'espace (Ziggy Stardust pour Bowie, Maxwell Demon pour Brian). Les autres personnages principaux du film font eux aussi référence à des figures de la scène glam rock : Mandy Slade à Angie Bowie, donc, mais également Curt Wild à Iggy Pop et à Lou Reed (là encore, le personnage de Curt présente de nombreuses similitudes avec le parcours réel des deux artistes). 

Brian en concert, avec un look très Ziggy Stardust...

En plus d'emprunter une multitude d'éléments biographiques à des personnalités existantes, Todd Haynes pousse l'hommage jusqu'à littéralement recréer certaines scènes d'après leur "modèle" réel : ainsi, par exemple, la scène où Brian et Curt Wild feignent une fellation sur scène (Brian à genoux entre les jambes de Curt, léchant la guitare de celui-ci) fait ouvertement référence à la célèbre photo de 1972 montrant David Bowie dans la même position avec son guitariste Mick Ronson. Dans la catégorie hommages, notons enfin que Haynes a même offert un petit rôle dans son film à Lindsay Kemp, chanteur et danseur burlesque qui fut le professeur et l'amant de David Bowie à la fin des années 1960.

Côté casting, Velvet Goldmine est tout ce que son titre indique : une mine d'or. Un ensemble d'acteurs brillants et profondément investis dans leur personnage. En 1998, année de sortie du film, Rhys-Meyers, Bale et McGregor n'avaient pas encore atteint le statut de sex-symbol international qu'ils occupent aujourd'hui ; encore relativement méconnus du grand public, ils n'en étaient pas moins d'excellents comédiens. Jonathan Rhys-Meyers est absolument parfait dans le rôle de la star Brian Slade, tout en paillettes et talons hauts, délicieusement superficiel, constamment en représentation derrière un masque de maquillage outrancier - d'une beauté insolente, presque écœurante. "Elegance walking arm in arm with a lie", comme le décrit fort bien son manager dans une scène du film. Ewan McGregor, lui, incarne à la perfection la simplicité et l'honnêteté brute de Curt Wild, contrastant avec la frivolité illusoire de Brian ; il est la vérité sans fard là où Brian n'est que mensonge et mise en scène. Sa performance live de Gimmy Danger d'Iggy Pop prend littéralement aux tripes et constitue une scène phare du film. Christian Bale, enfin, est lui aussi très convaincant dans son rôle de groupie hystérique, parfois pathétique, devenu dix ans plus tard un journaliste sage, rangé, mais profondément frustré.

Arthur Stewart (Christian Bale) en 1984

Mais la meilleure performance du film est peut-être celle, saisissante de naturel et de diversité, de Toni Collette, qui interprète Mandy Slade, la femme de Brian. Le jeu de l'actrice change radicalement en fonction de l'époque où se déroule l'action et de l'état d'esprit de Mandy : elle est d'abord superficielle, sulfureuse et déjantée, se trémoussant dans des robes à plumes et prenant un accent anglais affecté pour s'intégrer dans les soirées londonnienes ; plus tard, elle sera l'épouse amère et délaissée par son mari, tentant de se raccrocher tant bien que mal à l'époque dorée des débuts ; et enfin, dans le présent de 1984, l'ex-femme désabusée ayant laissé tomber tout artifice (et par conséquent l'accent anglais) et qui revient, tristement lucide, sur le fiasco de son mariage avec Brian. Toni Collette maîtrise admirablement les différents aspects du personnage de Mandy, excellente tant dans la démesure que dans la sobriété absolue.

Les seconds rôles sont également impeccables : Eddie Izzard en Jerry Devine, producteur ambitieux et sans scrupules de Brian ; Michael Feast en Cecil, le premier manager de Brian et l'un des "narrateurs" du film interviewés par Arthur ; ou encore Micko Westmoreland dans le rôle totalement silencieux de Jack Fairy, autre star du glam qui croise de temps à autre le chemin des protagonistes. Sans prononcer une seule réplique, l'acteur dégage toutefois une forte aura qui rend son personnage énigmatique et fascinant.

Mais, performances brillantes ou pas, Velvet Goldmine ne serait pas ce qu'il est sans sa bande originale. Comme tout film se déroulant dans le milieu de la musique et accordant une part importante aux chansons, la qualité de la BO est un élément essentiel à la réussite de l'œuvre. Et celle de Velvet Goldmine est un véritable bijou (elle tourne littéralement en boucle dans mes écouteurs depuis un an, c'est dire). Il faut dire que tous les groupes phares de l'ère glam rock sont à l'honneur : Roxy Music, Brian Eno, Slade (pas Brian, mais le groupe anglais), T.Rex, Lou Reed, Iggy Pop, Gary Glitter, Steve Harley & Cockney Rebel... Bref, un régal absolu pour les oreilles. En guise d'introduction au film, un message s'affiche d'ailleurs à l'écran : "Although what you are about to see is a work of fiction, it should nevertheless be played at maximum volume". Conseil à suivre ! (Le grand absent de cette BO prestigieuse est évidemment Bowie, et pour cause : il avait refusé l'utilisation de sa musique, ayant pour projet de monter son propre film inspiré de l'histoire de Ziggy Stardust. Malheureusement, le projet n'a jamais abouti...). 

Curt Wild (Ewan McGregor)

Certains morceaux sont utilisés tels quels dans le film, servant de fond musical non-diégétique (externe à la narration) ; la musique est quasi-omniprésente durant les deux heures que dure Velvet Goldmine. Mais toute une partie de la musique est également diégétique : ce sont les chansons qu'interprètent Brian Slade, Curt Wild et d'autres musiciens lors de concerts ou d'enregistrements studio. Ces titres sont soit des chansons existantes reprises par Jonathan Rhys-Meyers ou Ewan McGregor eux-mêmes (car oui, en plus d'être beaux et doués, ils chantent drôlement bien, les bougres), soit des morceaux écrits spécialement pour le film et également chantées par les comédiens. Notons au passage la présence dans le film du groupe Placebo ; Brian Molko et ses musiciens il y tiennent le rôle des Flaming Creatures, un groupe de glam rock, et interprètent le titre 20th Century Boy de T.Rex.

Outre son excellente bande originale, l'autre grand atout de Velvet Goldmine est le design des costumes. (La costumiére, Sandy Powell, a d'ailleurs gagné un BAFTA Award pour son travail.) L'ambiance du Londres des seventies et du mouvement glam - qui accordait une place considérable à la mode - est retranscrite à la perfection, barré et haut en couleurs, mais jamais grotesque ou too much, sachant efficacement miser sur la sobriété à des moments choisis. Bottes à talons hauts pour hommes et femmes, pantalons à rayures, cols "pelle à tarte" multicolores, silhouettes androgynes, plumes et paillettes à gogo... Tout y est. Le make-up et les coiffures sont à la hauteur des costumes : coupes à la Bowie, cheveux bleu vif, fards à paupìères pailletés... Il est amusant de noter que l'on doit ces designs psychédéliques à Peter King, qui travaillera plus tard sur... Le Seigneur des Anneaux.

Cecil (Michael Feast), le manager de Brian, et Mandy (Toni Collette)

Côté mise en scène, Velvet Goldmine est aussi original et décalé que son sujet. Todd Haynes fait des choix audacieux, déroutants, parfois à la limite du mauvais goût mais jamais ratés pour autant. Une multitude de très gros plans et de zooms (parfois assez brusques) sur les visages font la part belle aux personnages. Les scènes se déroulant en 1984, où Arthur mène ses interviews, sont filmées exclusivement en gros plans, voire en inserts. La narration du film, en plus d'être non chronologique, alterne les scènes "classiques" et d'autres moins conventionnelles : certaines scènes sont en fait des clips musicaux (ceux de Brian Slade), une scène d'amour entre Curt et Brian est filmée à l'aide de... poupées Barbie (deux petites filles jouent avec des Barbie à l'effigie des deux chanteurs, une façon détournée de montrer la relation entre Brian et Curt)... Velvet Goldmine devient même, par moments, surréaliste, à l'image de ce vaisseau spatial qui apparaît parfois dans le ciel ou de l'incursion dans le scénario du personnage d'Oscar Wilde (je vous laisse découvrir par vous-mêmes à quelles occasions ces étranges phénomènes ont lieu, il serait bien difficile de l'expliquer à ceux qui n'ont pas vu le film !). Sorte de fil conducteur métaphorique de l'intrigue, Oscar Wilde est d'ailleurs mis à l'honneur à travers un grand nombre de répliques directement tirées de ses œuvres. On pourrait même déceler quelques points communs entre Brian Slade et Dorian Gray...

Alors, finalement, dans quel catégorie classer Velvet Goldmine ? Difficile à dire, puisque le film est une vraie mozaïque de styles, changeant de genre comme Brian Slade change de coiffure. Le terme "film musical" semble s'appliquer au vu du sujet et de l'importance accordée à la musique, même si ce n'est pas une comédie musicale. Il y a du drame, ainsi qu'une part de comédie et même des bribes de polar. C'est également un "biopic fictif" (terme paradoxal...), doublé d'un hommage à Bowie et au glam rock. Mais c'est aussi et surtout un film unique, follement original, avec une équipe d'acteurs au top de leurs capacités et une bande originale sublime. Une curiosité à voir absolument, pour les fans des seventies comme pour les autres !

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