22 janvier 2011

Born of Hope


Titre original : Born of Hope
Réalisatrice : Kate Madison
Avec : Christopher Dane, Beth Aynslay, Kate Madison, Danny George...
Date de sortie : 2009
Pays : Angleterre
Note : ♥♥♥♥♥

"You are Aragorn, Son of Arathorn, Chieftain of the Dúnedain and the Heir
of Isildur. But for now, Estel, you are simply our Hope."

Soyons clairs : Born of Hope détient un statut tout à fait à part dans l'industrie du cinéma et sur ce blog. Ce long-métrage d'un peu plus d'une heure est en effet ce qu'on appelle un fanfilm, soit un film (amateur) se basant sur un univers déjà existant. La vague des fanfilms est, à l'origine, lancée par ds fans de Star Wars qui, avides d'en voir toujours plus sur leur saga préférée, se mettent à la création de petits films situés dans l'univers des Jedi. Depuis quelques années, les fanfilms sont de plus en plus nombreux sur Internet (le seul moyen de diffusion possible puisque, rapport aux droits d'auteur, ces films ne peuvent ni être diffusés en salle ni vendus en DVD) et surtout, leur qualité augmente de façon spectaculaire.

Si de nombreux fanfilms sont relativement médiocres au niveau du jeu d'acteur, des décors, du scénario ou des effets spéciaux (rien de très étonnant considérant qu'ils sont réalisés avec un budget quasi-nul par des cinéastes amateurs), certains sont absolument éblouissants et leur qualité, professionnelle, dépasse de loin un certain nombre defilms diffusés à la télévision ou même sortis au cinéma. Born of Hope fait indéniablement partie des meilleurs fanfilms jamais réalisés.

La jeune réalisatrice Kate Madison, qui n'avait alors à son actif qu'un (excellent) court-métrage et un petit film fantastique amateur, se lance dans le projet en 2005. Après avoir vu et adoré la trilogie du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson au cinéma, elle décide de réaliser un film visuellement très proche des trois films de Jackson (une grande ambition !), et trouve son inspiration en lisant les Appendices de la trilogie, écrits par Tolkien et qui développent un certain nombre de points vaguement évoqués dans Le Seigneur des Anneaux. Elle opte pour l'histoire des parents d'Aragorn, Arathorn et Gilraen, sur lesquels Tolkien écrit quelques petits paragraphes...

Après quelques années de gestation et un "test shoot" en 2006 afin de tâter le terrain, Kate Madison réunit une équipe de près de 100 personnes, entièrement bénévole et composée de professionnels (acteurs, artistes, techniciens, musiciens...). Elle dispose d'un budget extrêmement restreint : quelques milliers de livres seulement. Son intention est de parvenir, avec les moyens du bord, à recréer l'univers visuel de Peter Jackson de manière convaincante (effets spéciaux, créatures, costumes, décors...). Personne ne sait trop à quoi s'attendre, et les fans ayant eu vent du projet patientent jusqu'en décembre 2009 avant de pouvoir profiter de la diffusion gratuite sur Internet du film...

Dès les premières minutes, on sait que le film tiendra ses promesses. On a l'impression d'être devant un nouveau long-métrage de Peter Jackson, tant la qualité est extraordinaire. Tourné en numérique HD, Born of Hope bénéficie d'une image magnifique et d'une grande profondeur de champ. Les acteurs, inconnus mais professionnels, se débrouillent fort bien et à aucun moment, leur jeu ne paraît forcé ou artificiel (une première pour un film amateur, généralement mal joués !).

Les décors sont à la hauteur des somptueux paysages de Nouvelle-Zélande : entre scènes tournées en extérieur en Angleterre (village médiéval reconstitué, montagnes, forêts...) et paysages entièrement créés par ordinateur, on retrouve tout à fait l'ambiance de la trilogie de Jackson et de la Terre du Milieu. Les costumes sont sales et déchirés à souhait, ce qui leur confère une authenticité que même un certain nombre de "vrais" films ne parvient pas à atteindre. Les Orques, joués par des acteurs couverts de masques en latex et de vêtements et cottes de mailles en lambeaux, ressemblent à s'y méprendre à ceux que Weta Workshop avait créés pour les films originaux. Bref, à chaque minute, on s'émerveille de ce que l'équipe de Kate Madison est parvenue à accomplir avec à peine 3000 £ en poche...

Côté scénario, le niveau est tout aussi élevé. Pas évident, pourtant, de construire un film entier sur seulement quelques lignes écrites par Tolkien. Mais Kate Madison (qui est aussi scénariste de Born of Hope) réussit non seulement à captiver le spectateur, mais à faire de son film une sorte de thriller fantastique, avec une histoire riche en surprises et en rebondissements.

Le film raconte donc la vie du peuple Dúnedain, un peuple d'Humains habitant dans le Nord de la Terre du Milieu, et plus particulièrement la vie mouvementée d'Arathorn (Christopher Dane) et de Gilraen (Beth Aynsley), les futurs parents de l'un des héros du Seigneur des Anneaux, Aragorn. Ceux-ci sont menacés par le grand méchant Sauron, qui veut à tout prix détruire les Dúnedain (pour une raison bien précise, mais je n'en dis pas plus afin de ne pas vous spoiler tout le film) et envoie régulièrement ses Orques attaquer le village où ils sont installés... Voilà pour l'intrigue principale, cependant assez réductrice - car le film comporte plusieurs sous-intrigues qui font toute sa richesse.

Born of Hope comporte son lot d'action, de drame, de combats (admirablement chorégraphiés) mais aussi de romance, avec une sorte de triangle amoureux à sens unique entre Arathorn, Gilraen (qui deviendra sa femme) et la jeune Elgarain (jouée par la décidément très polyvalente Kate Madison), protégée d'Arathorn et folle amoureuse de lui. Une multitude de personnages secondaires viennent entourer les trois héros, tels Dirhael, le père réticent de Gilraen (Andrew McDonald), Dirhaborn, l'un des Rôdeurs au service d'Arathorn (Danny George) ou encore les deux fils d'Elrond, Elladan et Elrohir (Matt et Sam Kennard).

Certains de ces personnages sont tirés de l'oeuvre de Tolkien (Arathorn, Elgarain, Arador, Elladan et Elrohir...), et quelques-uns de ceux-ci étaient attendus de pied ferme par les fans, déçus de ne pas les avoir vus apparaître au cinéma dans Le Seigneur des Anneaux (comme les fils d'Elrond, adorés par les lecteurs de Tolkien, ou encore le Rôdeur Halbarad). D'autres ont été inventés par Kate Madison afin de donner de l'épaisseur au scénario (les écrits de Tolkien ne comportaient en effet que quelques personnages, et il aurait été quasiment impossible de construire un long-métrage sur trois ou quatre protagonistes seulement). Curieusement, les fans se montrent relativement compréhensifs face à ces libertés prises par la réalisatrice - eux qui sont d'habitude si critiques face au moindre changement.

Le film de Kate Madison est vite devenu une référence incontournable en matière de fanfilm, et a par la même occasion placé la barre très haut pour les futures productions à naître (ce qui est une très bonne chose, puisque depuis, les fanfilms ambitieux s'enchaînent - entre autres The Hunt for Gollum, un autre film basé sur les textes de Tolkien, tout aussi excellent). Avec deux millions de vues en quelques mois, un intérêt non négligeable de la part des médias et les prix remportés à divers festivals de fantasy, Born of Hope est la preuve que quelques milliers de dollars suffisent à créer un long-métrage de qualité professionnelle. Encouragée par son succès, Kate Madison travaille d'ores et déjà sur un nouveau film, situé cette fois dans le XVIII° siècle des... pirates !

Born of Hope est donc un excellent film fantastique, dans lequel on ressent à chaque plan l'amour que l'équipe a apporté à sa réalisation. Scénario, acteurs, décors, costumes ou effets spéciaux : pas un seul défaut ne vient nuire à la totale crédibilité du film, qui est entré dans l'esprit des fans de Tolkien au même titre que la trilogie de Peter Jackson.

[Pour visionner le film gratuitement : clic ici. Vous pouvez voir le film avec des sous-titres français, créés par... moi-même. Hé oui, j'ai eu la chance d'apporter ma (toute petite) pierre à l'édifice !]

9 janvier 2011

Soul Kitchen


Titre original : Soul Kitchen
Réalisateur : Fatih Akin
Avec : Adam Bousdoukos, Demir Gökgöl, Moritz Bleibtreu, Wotan Milke Möhring...
Date de sortie : 2009
Pays : Allemagne
Note : ♥♥♥♥

"Mir schmeckt mein Essen auch nicht... Aber den Leuten schmeckt's."

[Critique courte, car écrite dans le cadre de ma candidature au Filmfestival de Berlin 2011.]

Rien ne va plus pour Zinos Kazantsakis (Adam Bousdoukos). Propriétaire d'un restaurant tout sauf gastronomique à Hamburg, il voit les ennuis s'accumuler. Sa compagne Nadine (Pheline Roggan) le délaisse pour aller s'installer en Chine. Le nouveau cuisinier qu'il a recruté (Birol Ünel) fait fuir la clientèle avec ses plats trop sophistiqués. Sokrates (Demir Gökgöl), le vieil homme installé dans son garage n'a pas de quoi payer son loyer. Son frère Illias (Moritz Bleibtreu), tout juste sorti de prison, interfère dans ses affaires commerciales et va jusqu'à vendre son restaurant à un entrepreneur peu scrupuleux (Wotan Milke Möhring)... Bref, Zinos en a plein le dos - littéralement, puisque pour couronner le tout, une hernie discale le rend quasiment incapable de se tenir debout.

Tel est le point de départ de Soul Kitchen, première comédie du réalisateur allemand Fatih Akin, dans laquelle on retrouve à la fois quelques-uns de ses acteurs fétiches (Birol Ünel, Moritz Bleibtreu...) et une flopée de nouveaux venus aussi drôles qu'attachants. À travers la vie mouvementée du jeune Zinos et de son restaurant "Soul Kitchen", Akin nous présente une Allemagne multiculurelle, chacun des personnages principaux ayant des racines étrangères (Zinos et Illias sont d'origine grecque, le cuisinier Shayn est turc...).

Il parvient avec habileté à éviter l'humour lié aux clichés culturels : au début du film, le restaurant sert des plats tellement basiques qu'on les trouve habituellement dans les Imbiss ; les personnages utilisent un jargon de jeunes allemands... En dehors de leur nom, rien ne laisse penser qu'ils sont d'origine étrangère. Les rares allemands présents dans Soul Kitchen ne sont pas les plus sympathiques et les plus honnêtes - à la fin, Illias le Grec se retrouve d'ailleurs en prison avec Neumann, l'allemand au faciès on ne peut plus typique.

Ce film drôle et émouvant (sans jamais tomber dans le sentimentalisme), principalement fondé sur la personnalité de ses personnages et situations hétéroclites, surprend de la part de Fatih Akin, plus habitué aux drames sociaux. Soul Kitchen est un film sans prétention qui remplit parfaitement son rôle : celui d'une comédie légère mais pas trop, qui véhicule une bonne humeur communicative, doublée d'un portrait "multi-kulti" de l'Allemagne d'aujourd'hui.