23 septembre 2013

Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée...


Titre original : Christiane F. Wir Kinder vom Bahnhof Zoo
Réalisateur : Uli Edel
Avec : Natja Brunckhorst, Thomas Haustein, Christiane Reichelt, Rainer Wölk...
Date de sortie : 1981
Pays : Allemagne
Note : ♥♥♥

"Ich mach das einmal und dann ist schluss. Ich hab mich doch völlig unter Kontrolle."

On ne présente plus Christiane Felscherinow, alias Christiane F., rendue célèbre dans le monde entier avec son autobiographie Wir Kinder vom Bahnhof Zoo (littéralement "Nous, les enfants de la station Zoo"), publié en français sous le titre un brin plus évocateur Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée... Paru en 1979, le livre raconte la descente aux enfers de Christiane, adolescente tombée dans la drogue dure et la prostitution à l'âge de 13 ans, dans le Berlin-ouest des années 1970.

Le livre, rédigé par Kai Hermann et Horst Rieck (deux journalistes du magazine Stern) à partir de longues conversations avec Christiane (alors âgée de 16 ans), a connu immédiatement un grand succès dans toute l'Europe, et n'a pas tardé à être adapté au cinéma. À peine deux ans après la publication de Wir Kinder vom Bahnhof Zoo sortait le film du même nom, réalisé par Uli Edel et tourné à Berlin, sur les lieux réels fréquentés par Christiane F. et sa bande – dont la fameuse station Zoo du titre, dans et autour de laquelle la jeune fille et ses amis se prostituaient pour gagner de quoi se payer leur prochain shoot.

Le film ne couvre pas la totalité des événements du livre, en délaissant le début (l'enfance de Christiane) et la fin (la vie de Christiane loin de Berlin après sa tentative de suicide à 14 ans) pour ce concentrer uniquement sur la "carrière de toxico" de l'adolescente. Nous suivons donc l'évolution de Christiane F. (Natja Brunckhorst) qui, à 12 ans, découvre le haschisch, le LSD et divers comprimés et, à 13 ans, l'héroïne, qu'elle consommera rapidement chaque jour. Le film trace le parcours cahotique de la jeune fille, centré autour de la drogue : son histoire d'amour naissante avec Detlev (Thomas Haustein), un jeune toxico de 16 ans ; son amitié avec Babsi (Christiane Reichelt), avec qui Christiane vendra quotidiennement ses charmes au "baby-tapin" et qui mourra d'une overdose à 14 ans ; ses tentatives de sevrage, ses expériences dans la prostituion, sses espoirs et ses rechutes.

Christiane (Natja Brunckhorst) à 13 ans

Globalement, l'ambiance du film retranscrit assez bien celle du livre : une atmosphère glauque, déprimante, dans laquelle Christiane et sa bande errent sans autre but que de récolter les 50 marks que coûtera leur prochain fix. Le ryhtme est lent, les scènes se suivent et se ressemblent – une monotonie en adéquation parfaite avec l'existence que menaient ces jeunes drogués. Uli Edel filme un Berlin gris et froid, des stations de métro désertes au petit matin aux taudis de camés où vivent certains amis de Christiane, en passant par les toilettes publiques insalubres où Christiane se shoote dans des conditions d'hygiène déplorables. La photographie n'est pas belle, mais cet environnement ne l'était pas non plus. Aucune place pour la nature ou les couleurs vives dans cet univers monochrome ; alors que, dans le livre, Christiane passait un peu de temps dans les parcs ou à la campagne, le réalisateur la montre dans un environnement excusivement urbain.

Ce parti-pris de se concentrer uniquement sur les aspects les plus négatifs, les plus désespérés de la vie de Christiane F. est ce que je reprocherais au film. Certes, celui-ci traite d'une réalité qui n'a rien d'amusant ; mais, dans le livre, tout n'était pas toujours aussi sombre. Christiane y raconte sa déchéance, mais aussi les bons moments que, mine de rien, elle vivait de temps en temps. Son récit est intéressant de par son ambivalence – d'un côté, elle a l'héroïne en horreur et rêve de se débarrasser de son addiction, mais de l'autre, elle éprouve un indéniable plaisir à mener sa vie de toxico marginale, se trouvant, selon ses propres dires, "super cool". Dans le film, tout ce que Christiane trouvait de "positif" à la drogue est délibérément occulté ; dès lors, le cinéaste transforme son œuvre en un plaidoyer anti-came assez unilatéral (le film était d'ailleurs projeté dans les collèges, en guise de mise en garde...).

Christiane et Detlev (Thomas Haustein) au tapin du métro Zoo

De la même façon, il est dommage que le film ne traite quasiment pas de l'enfance de Christiane et de sa relation avec ses parents. Dans le livre, Christiane raconte en détail quelle vie elle menait avant la drogue, ce qui permet au lecteur de comprendre comment une jeune fille de 13 ans a pu en arriver à se piquer deux fois par jour et à attendre le client chaque après-midi après la sortie de l'école. Elle parle de son père – alcoolique – qui la battait, de leurs difficultés financières, du nouvel ami de sa mère, de son sentiment de ne plus avoir sa place au sein de son propre foyer. Le film, lui, montre très brièvement la mère débordée et souvent absente de Christiane, sans explorer plus en profondeur le background familial et social de la jeune fille. De même, il s'interrompt brusquement après la tentative de suicide de celle-ci (ayant appris le décès de son amie Babsi, Christiane avait essayé de se donner la mort en s'injectant une forte dose d'héroïne), mentionnant par une simple voix off que Christiane a survécu, sans aborder la suite des événements.

Cette voix off – celle de Christiane – est rare, présente uniquement tout au début et tout à la fin du film. D'un côté, c'est plutôt une bonne chose : une voix off constante aurait été une solution de facilité pour retranscrire un témoignage écrit à la première personne. Mais de l'autre, l'absence de voix off nous empêche de partager les émotions et le ressenti de Christiane, qui est pourtant ce qui fait l'intérêt du livre.

Babsi (Christiane Reichelt), morte d'une overdose à 14 ans

Les acteurs principaux de Christiane F..., qui ont tous entre 13 et 17 ans, sont convaincants, même si certains s'en sortent mieux que d'autres – il faut dire que tous étaient des novices non professionnels. À part Natja Brunckhorst, aucun d'entre eux n'a d'ailleurs poursuivi une carrière d'acteur par la suite. Brunckhorst est excellente dans le rôle de Christiane, attachante et très naturelle (et d'une maigreur à faire peur, ce qui correspond bien au personnage). Thomas Haustein, lui, semble un peu moins à l'aise et manque parfois de spontanéité ; physiquement, cependant, il est impeccable dans le rôle de Detlev, du haut de ses 14 ans et avec ses traits enfantins. Les autres jeunes comédiens, qui interprètent les membres de la bande de Christiane, ont peu de dialogues mais se sont tous parfaitement glissés dans la peau de leur personnage, tant dans l'attitude que dans l'apparence - yeux dans le vague, visage pâle et hagard, pantalons moulants et talons hauts, ils forment une équipe de toxicos très réaliste et évitant les clichés du genre. (Notons au passage la présence dans le film de Catherine Schabeck, alias Stella dans le livre – une droguée amie de Christiane – , aperçue très brièvement dans une scène tournée au "Sound", mais pas dans son propre rôle. La Stella du film est jouée par Kerstin Richter).

La musique du film va de pair avec son scénario et son ambiance visuelle : lente, lancinante, répétitive, elle traduit fort bien l'errance et le flottement de Christiane et son groupe. La bande originale est en grande partie créée par David Bowie – idole de la véritable Christiane F. –, et comprend notamment les morceaux Station to Station et Heroes en plus de diverses compositions instrumentales. Bowie est d'ailleurs présent dans le film : il a accepté de jouer son propre rôle lors d'un concert où se rend Christiane. Il interprète Station to Station en live devant une foule de figurants pour les besoins du tournage. 

Dans l'ensemble, Christiane F  Wir Kinder vom Bahnhof Zoo est donc un film réaliste et édifiant sur le milieu de la toxicomanie dans les années 1970, mais il ne relate que de façon incomplète la véritable histoire de Christiane. Si l'on peut accuser le réalisateur Uli Edel de ne pas avoir suffisamment développé le parcours de l'adolescente et d'avoir fait l'impasse sur certains aspects essentiels du livre, son film en retranscrit toutefois fidèlement l'ambiance générale et le parcours chaotique de ces adolescents paumés. Christiane F... est à voir, mais surtout à lire, puisque le livre est, comme bien souvent, largement supérieur à son adaptation cinématographique.

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