22 mai 2011

Twin Peaks


Titre original : Twin Peaks
Créateur : David Lynch
Avec : Kyle MacLachlan, Michael Ontkean, Sherilyn Fenn, Lara Flynn Boyle...
Dates de diffusion : 1990-1991
Pays : USA
Note : ♥♥♥♥♥ 

" You know, this is - excuse me - a damn fine cup of coffee."

Après Blue Velvet, je continue sur ma lancée lynchienne avec la série qui a révolutionné l'histoire de la télévision dans les années 1990 : Twin Peaks. Le problème, c'est qu'il est très difficile d'écrire une critique de Twin Peaks, sans en dévoiler trop, sans embrouiller les lecteurs étrangers à l'histoire. Pour faire simple, disons qu'il s'agit de la meilleure série télévisée jamais créée (et tout le monde est d'accord là-dessus), la série qui en a inspiré tant d'autres, la série devenue culte immédiatement après sa diffusion et qui l'est toujours. L'une des très rares œuvres à laquelle j'ai accordé cinq ♥ sur ce blog (et ce n'est pas peu dire).

La série, écrite par David Lynch et Mark Frost et première œuvre pour la télévision de Lynch (suivra notamment la mini-série non-narrative Rabbits en 2002), fut initialement diffusée sur la chaîne américaine ABC en avril 1990. Elle comporte 30 épisodes rassemblés en deux saisons de longueur inégale (saison 1 : pilote + 6 épisodes ; saison 2 : 23 épisodes), et chaque épisode équivaut à une durée d'une journée dans la narration.

L'histoire : dans la paisible bourgade de Twin Peaks, à la frontière canadienne, on retrouve le corps sans vie de la jeune Laura Palmer (Sheryl Lee), lycéenne de 17 ans, enveloppée dans une bâche en plastique et sauvagement assassinée. Les autorités locales, menées par le sheriff Harry Truman (Michael Ontkean) ouvrent une enquête sur le meurtre, aidés par l'agent spécial Dale Cooper (Kyle MacLachlan), envoyé sur les lieux par le FBI. Bien vite, ce dernier se rend compte que Laura Palmer est loin d'être l'adolescente pure et innocente qu'on lui avait décrite ; et plus il va s'enfoncer dans les méandres de cette affaire compliquée, plus Cooper va comprendre que Twin Peaks et ses habitants cachent de sombres et inavouables secrets...

L'intrigue de base paraît donc simple : un meurtre, une enquête, et une équipe de policiers en guise de héros. Au fond, rien de bien révolutionnaire. Sauf que Twin Peaks va beaucoup, beaucoup plus loin. Ce qui démarre comme une simple affaire policière devient vite une intrigue bien plus complexe, bien plus tordue (après tout, nous sommes chez David Lynch). Dès les premiers épisodes, certains indices nous font comprendre que nous n'évoluerons pas uniquement sur un terrain réaliste, mais aussi dans un monde fantasmagorique, onirique et surnaturel. Le héros, Cooper, est certes un brillant agent du FBI, mais pas seulement : il est en effet persuadé que ses rêves, aussi absurdes soient-ils, sont des indices qui l'aideront à résoudre le mystère du meurtre - ce qui se vérifiera par la suite. Très tôt, les personnages mentionnent d'étranges pouvoirs à l’œuvre dans la forêt. Très tôt également, Lynch déconcerte totalement le spectateur en incluant dans le paysage réaliste des séquences aussi irréelles qu'effrayantes, peuplées de nains parlant à l'envers, de café solide et de pièces aux rideaux rouges. Rêve, vision ou réalité, on ne le saura que bien plus tard (et encore).

Twin Peaks parvient donc à instaurer un audacieux mélange des genres, sans jamais pour autant tomber dans le ridicule ou le peu plausible. Chaque élément, réel ou fantastique, est intégré de façon si convaincante au scénario que tout se tient parfaitement et qu'on ne remet jamais sa crédibilité en cause. En ce sens, la série réussit là où, par la suite, beaucoup ont échoué (voir le délire mystico-fantastique de Lost, par exemple...). 

L'autre grande qualité de Twin Peaks réside dans le développement de ses protagonistes. Le pari n'était pas gagné d'avance : en effet, au lieu d'avoir affaire à un nombre restreint de personnages évoluant dans un espace réduit (exemples : les quelques médecins de l'hôpital d'Urgences ; les quatre copines de Desperate Housewives...), Lynch s'attaque ici à la population de toute une ville. Certes, il y a des personnages plus ou moins importants ; mais le nombre de personnages dits "principaux", c'est-à-dire essentiels à l'intrigue, s'élève probablement à une bonne trentaine. Pas facile, dans ces conditions, de développer chacun des protagonistes en profondeur et d'éviter les personnages superficiels.

David Lynch et Mark Frost y réussissent parfaitement. Chacun des personnages est admirablement bien écrit, bénéficie d'une vraie personnalité et surtout, d'une vraie originalité. Tous les habitants de Twin Peaks possèdent un ou plusieurs traits de caractère uniques, qui en font des personnages mémorables et attachants (dans le bon ou le mauvais sens du terme, selon s'ils sont "gentils" ou "méchants"). Il y a Nadine (Wendy Robie), la trentenaire borgne obsédée par les tringles à rideaux ; Andy (Harry Goaz), l'adjoint du sheriff peureux et maladroit qui fond en larmes à la vue d'un cadavre ; l'agent du FBI Gordon Cole (David Lynch himself), sourd comme un pot et qui ne s'exprime qu'en hurlant ; Leland Palmer (Ray Wise), le père de la victime, qui manifeste sa tristesse en chantant et dansant comme un hystérique ; Dr. Jacoby (Russ Tamblyn), le psychiatre hippie de Laura, fan d'Hawaï et de tours de magie... Ce sont ces personnages hauts en couleur qui font une bonne partie du charme de la série, d'autant plus qu'ils sont joués par une brochette d'acteurs tout à fait convaincants.

Et puis, bien sûr, il y a le héros, Special Agent Dale Cooper, qui découvre avec un œil neuf - et très enthousiaste - la vie provinciale. Cooper s'extasie devant la beauté des arbres qui peuplent les forêts de Twin Peaks, s'émerveille systématiquement devant le café qu'il boit à longueur de journée, et n'enquête jamais sans être accompagné par un gigantesque plateau de donuts. Il commence ses journées par quelques exercices de méditation tibétaine, a des visions de nains et de géants qui l'aident dans l'affaire du meurtre, et ne se sépare jamais d'un mini-magnétophone avec lequel il enregistre des messages adressés à Diane, sa secrétaire qu'on ne verra jamais (messages qui peuvent aussi bien concerner l'enquête en cours que le prix et le contenu exact de son petit déjeuner). Comme pour les personnages secondaires, c'est cette accumulation de détails originaux qui font tout le sel du personnage. Sans compter que tout excentrique qu'il puisse paraître, Cooper est aussi un excellent agent du FBI, futé et drôle, franc et direct, cool et laconique en toutes circonstances, et qui compte autant sur le surnaturel que sur la science pour résoudre sa difficile enquête. Un héros comme on les aime, en somme, superbement interprété par le trop rare Kyle MacLachlan.

Le succès monumental de Twin Peaks vient aussi, très certainement, du don pour le suspense des deux auteurs. Ceux-ci parviennent à ménager une tension quasi-insoutenable pendant toute la série, sans jamais faiblir. Chaque épisode comporte son lot de révélations, d'indices et de retournements de situation ; aucun élément n'est laissé au hasard, tout est cohérent jusque dans les moindres détails. Et, comme souvent dans les séries, chaque épisode se termine sur un magistral cliffhanger qui laisse le spectateur totalement en état de manque. Et si le meurtre de Laura Palmer, intrigue-clé de la série, est résolu avant la fin de la deuxième saison, c'est uniquement pour que l'intrigue puisse mieux s'épaissir par la suite, relançant l'histoire après une fausse conclusion... jusqu'à la vraie fin de la série, véritable coup de poing dans l'estomac du spectateur, qui n'est pas prêt de l'oublier (je n'en dirai pas plus, évidemment).

Au-delà de la qualité de son écriture et de son scénario, Twin Peaks est aussi magnifique sur le plan technique et cinématographique. Comme toujours chez Lynch, chaque plan sans exception est d'une beauté époustouflante, notamment grâce à un jeu de lumières, rougeâtres et très contrastées, qui fait l'identité visuelle de la série. Encore une fois, Lynch nous prouve son talent pour rendre des lieux en apparence anodins chargés d'une lourde ambiance - effrayante, inquiétante ou chaleureuse, selon les cas. Et puis, Twin Peaks ne serait bien sûr pas la même sans sa musique, créée par le compositeur attitré de Lynch, Angelo Badalamenti. Pendant toute la série, cinq ou six thèmes musicaux récurrents se succèdent, chaque thème représentant une atmosphère particulière. La musique, douce et lancinante, est quasi-omniprésente dans chacun des épisodes.

Twin Peaks est donc une série (très) proche de la perfection sous tous ses aspects, que ce soit par son scénario, le jeu de ses acteurs, la qualité de l'image ou de la bande originale... Tout en étant un peu plus "accessible" que certains autres films de Lynch (notamment Mulholland Drive, Eraserhead ou Inland Empire...), la série porte tout de même bien la patte personnelle et unique du réalisateur. Après Blue Velvet (1986), Lynch poursuit son exploration des petites villes de province, porteuses de bien des mystères et des secrets... et signe ici l'un des monuments de l'histoire du cinéma et de la télévision, tout simplement. Bref, si vous ne deviez voir qu'une seule série dans votre courte existence, que ce soit Twin Peaks.

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