5 mai 2011

Blue Velvet


Titre original : Blue Velvet
Réalisateur : David Lynch
Avec : Kyle MacLachlan, Isabella Rosselini, Laura Dern, Dennis Hopper...
Date de sortie : 1986
Pays : USA
Note : ♥♥♥♥

"I can't figure out if you're a detective or a pervert." 

Je me rendais compte récemment que depuis que je tiens ce blog, je n'avais encore jamais écrit de critique d'un film de David Lynch - réalisateur dont je suis pourtant totalement fan depuis longtemps. Comme j'ai récemment revu Blue Velvet, j'en profite pour le commenter aujourd'hui. 

Blue Velvet est le quatrième long-métrage de David Lynch, après le très troublant Eraserhead, le drame en noir et blanc Elephant Man et le déconcertant film de science-fiction Dune, qui fut un relatif échec public et critique en 1984. Blue Velvet explore une thématique chère à Lynch, que l'on retrouvera par la suite dans plusieurs de ses autres films et particulièrement dans sa série Twin Peaks (1990) : les sordides secrets cachés sous les apparences paisibles d'une petite ville de province.

Blue Velvet raconte la dangereuse descente aux enfers de Jeffrey Beaumont (Kyle MacLachlan), jeune étudiant qui voit son monde tranquille s'effondrer au moment où il trouve, dans l'herbe verte de la paisible bourgade de Lumberton, une oreille humaine fraîchement coupée. Après avoir apporté l'oreille à un détective travaillant pour la police locale, Jeffrey se lie d'amitié avec la fille de celui-ci, Sandy (Laura Dern) ; ensemble, les deux jeunes gens vont mener leur propre enquête pour tenter de percer le mystère. Sandy, grâce à sa parenté avec le détective chargé de l'affaire, en apprend plus qu'elle ne le devrait et partage ces informations avec un Jeffrey enthousiaste qui se transforme rapidement en enquêteur amateur. Lorsque Sandy lui cite le nom d'une certaine Dorothy Vallens (Isabella Rosselini), chanteuse de cabaret, Jeffrey se met en tête de l'espionner et se cache dans son appartement. Sans le savoir, il pénètre alors un monde aussi mystérieux que menaçant, et va vite se retrouver pris au piège, confronté à de dangereux individus, notamment le psychopathe Frank Booth (Dennis Hopper), ainsi qu'à ses fantasmes les plus inavoués...

Le film s'ouvre sur une série de plans montrant une petite ville américaine idéalisée : fleurs rouges poussant au pied de clôtures d'un blanc étincelant sur fond de ciel bleu azur, pelouses verdoyantes arrosées par des habitants souriants..., le tout sur une douce chanson rétro de Bobby Vinton, qui donne son titre au film. Pourtant, dès le début, les images créent un certain malaise. On devine très vite que cette perfection n'est qu'une apparence, que cette bourgade idéale est artificielle. En effet, quelques minutes plus tard, la caméra s'enfonce dans l'herbe verte pour filmer en gros plan... une oreille humaine, à moitié décomposée et dévorée par une multitude d'insectes grouillants. La musique est remplacée par le son de ces insectes, largement amplifié, faisant de la scène une véritable vision d'horreur, grotesque et écœurante.

À partir de là, toute l'innocence, la tranquillité et la paix de la petite ville paraissent faux. Les costumes sont trop kitsch pour être crédibles, les dialogues trop niais (la première rencontre entre Sandy et Jeffrey ressemble à un mauvais épisode de soap opera), le jeu des acteurs trop forcé. C'est là un procédé entièrement volontaire de la part de Lynch, qui voulait qu'au moment où l'intrigue bascule, tout le reste bascule avec elle. Blue Velvet devient réaliste une fois que les apparences sont détruites, une fois qu'on pénètre dans le monde secret et souterrain qu'abrite la ville de Lumberton.

Les acteurs révèlent seulement à ce moment-là l'étendue de leur talent, livrant tous des prestations mémorables - Kyle MacLachlan joue à la perfection le mélange d'innocence et de perversité qui anime son personnage de détective amateur, Isabella Rosselini est saisissante en femme perturbée, tour à tour victime et tortionnaire, et Dennis Hopper livre une interprétation hallucinée de son personnage sadique, violent, shooté à l'oxygène et dangereusement fou.

Comme toujours chez Lynch, le malaise est permanent, même dans les scènes les plus triviales et en apparence joyeuses, bercées par la musique toujours opressante de son compositeur fétiche, Angelo Badalamenti (que l'on aperçoit d'ailleurs au piano dans une séquence où Dorothy chante Blue Velvet au cabaret). Le soit-disant happy end du film en est l'exemple parfait : dans un monde apparemment revenu à la normale, le spectateur demeure cependant habité par un sentiment d'inquiétude. Sur l'un des derniers plans, on aperçoit un oiseau qui, tout au long du film, est présenté comme un symbole d'amour et de bonheur ; mais dans son bec, l'oiseau tient un scarabée mort, ce même scarabée qui dévorait l'oreille coupée au début du film... "It's a strange world", dit Sandy à un Jeffrey plus perturbé qu'heureux.

L'oiseau est d'ailleurs une référence directe à la série Twin Peaks créée par Lynch quelques années plus tard, dans laquelle on voit exactement le même dans le premier plan du générique - signe d'une nouvelle plongée dans les dessous d'une petite ville américaine. En ce sens, Blue Velvet est un véritable "premier jet" de Twin Peaks, une ébauche de ce que la série explorera plus en profondeur et en complexité. Violence, meurtre et viol sont à nouveau au programme - et le personnage principal de Twin Peaks, Special Agent Cooper du FBI qui plonge au coeur des secrets de la ville, est indéniablement la continuité, la version plus mature de l'apprenti enquêteur qu'était Jeffrey Beaumont (Cooper est interprété par le même Kyle MacLachlan). La thématique de la "face cachée de l'Amérique" sera encore explorée par Lynch dans le plus récent Mulholland Drive en 2001, dont l'intrigue se passe cette fois à Hollywood.

Blue Velvet est un film à multiples facettes, tour à tour thriller, comédie noire (de cet humour absurde caractéristique de Lynch), film érotique et voyage initiatique ; une œuvre déroutante et malsaine qui ne laisse pas indifférent. L'un des (nombreux) chefs-d'œuvre de David Lynch.

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