7 septembre 2010

Rosemary's Baby


Titre original : Rosemary's Baby
Réalisateur : Roman Polanski
Avec : Mia Farrow, John Cassavetes, Ruth Gordon, Sydney Blackmer...
Date de sortie : 1968
Pays : USA
Note : ♥♥♥♥♥

Un autre film avec la note maximale, aujourd'hui : Rosemary's Baby, thriller horrifique de Roman Polanski. Le film est fidèlement adapté du roman éponyme d'Ira Levin, écrit en 1967.

L'histoire : Rosemary (Mia Farrow) et Guy (John Cassevetes) Woodhouse forment un jeune couple qui emménage dans un nouvel appartement à New York. Lui est un acteur qui a du mal à percer, elle est femme au foyer et compte bien avoir des enfants. Les Woodhouse font la connaissance de Roman (Sidney Blackmer) et Minnie (Ruth Gordon) Castevet, leurs voisins de palier, vieux et excentriques, avec lesquels Guy se lie d'amitié... 

Bientôt, Rosemary tombe enceinte. Dès lors, les Castevet se montrent excessivement gentils et serviables à son égard, prennent Rosemary sous leur aile, et deviennent vite envahissants. Parallèlement, Guy a subitement un succès gigantesque dans sa carrière de comédien. La nuit, Rosemary entend des murmures étranges venant de chez ses voisins, comme s'ils se livraient à une cérémonie religieuse... Lentement, la jeune femme plonge dans un monde d'angoisse et de paranoïa, persuadée qu'on en veut à son futur bébé.

Avec Rosemary's Baby, Roman Polanski nous prouve encore une fois, après Répulsion, Le Couteau dans l'eau ou encore Cul-de-Sac, qu'il est maître dans l'art de mener le suspense et de semer la confusion chez le spectateur jusqu'à la dernière minute du film. Pendant deux heures, le spectateur est perpétuellement amené à douter : Rosemary est-elle réellement victime d'une improbable conspiration, ou bien est-elle simplement paranoïaque ? Les breuvages vitaminés que lui apporte gentiment la vieille Minnie Castevet sont-ils offerts de bon coeur, ou contiennent-ils quelque drogue ou herbe maléfique ? Les griffures que porte Rosemary à son réveil, un matin, ont-elles vraiment été causées par un mari un peu trop fougueux ?

Rosemary's Baby n'est pas un film d'horreur à proprement parler, mais Polanski sait faire peur à son public, et ce depuis les premières minutes du film. Quelques détails étranges, quelques plans inhabituels, une réplique lancée de façon déroutante... et l'angoisse monte chez le spectateur, avant même qu'elle n'apparaisse chez les personnages. Ainsi, par exemple, cette commode placée par l'ancienne locataire de l'appartement devant la porte d'un placard ; les personnages s'interrogent sans toutefois s'inquiéter, mais la musique et la nature du cadrage nous fait comprendre que quelque chose ne va pas. Ou encore lorsque, après un dîner chez les Castevet, Rosemary fait remarquer à Guy que les voisins ont retiré tous leurs tableaux des murs ; Guy en rit, pas nous. Ou bien ces rêves que fait Rosemary, qui n'ont à première vu rien d'effrayant mais qui nous terrorisent littéralement... 

Visuellement, Polanski utilise plusieurs procédés propres à générer la peur et l'empathie chez le spectateur, notamment la caméra quasi-subjective. Celle-ci suit le personnage de très près, de dos, comme si nous étions dans la scène, en train de marcher juste derrière Rosemary dans un quelconque couloir obscur - ah, Polanski et ses couloirs, ses interminables couloirs sombres et vides ! Le film ne comporte aucun plan d'ensemble (mis à part celui, vu d'hélicoptère, de la séquence d'ouverture) mais se concentre sur ses personnages, évoluant dans l'appartement, comme un huis-clos oppressant, tout en gros plans et en lents travellings.

Le casting, comme toujours chez Roman Polanski, est irréprochable. Mia Farrow est idéale en Rosemary, femme-enfant aux cheveux courts et au teint blafard, qui respire l'innocence et la candeur. John Cassevetes, à la fois attirant et machiavélique, correspond parfaitement au personnage de Guy Woodhouse, dont on ne sait s'il est un mari aimant ou un conspirateur maléfique. Le couple Castevet est également fort bien incarné par Ruth Gordon et Sidney Blackmer, septuagénaires souriants et sympathiques, et pourtant un rien malsains.

Mention spéciale à la bande sonore du film, qui lui apporte en grande partie son ambiance particulière. La première scène est mémorable notamment à cause de sa musique : on y voit un long plan aérien sur le futur appartement du jeune couple, avec le générique écrit en rose vif dans une belle écriture calligraphiée ; et en fond, une berceuse pour enfants, sans autres paroles que "la-la-la-la-la", chantée par Mia Farrow elle-même. Le séquence pourrait être anodine, elle devient angoissante. On entendra la même berceuse, associée au même plan, à la fin du film.

En dehors de cette mélodie lancinante, Rosemary's Baby est quasiment dépourvu de musique. En revanche, un soin tout particulier est apporté aux effets sonores. Toutes les séquences se déroulant dans la chambre de Rosemary et Guy, par exemple, sont uniquement rythmées par le tic-tac répétitif d'un réveil posé sur la table de chevet. Lorsque Rosemary rêve, on continue à entendre ce même tic-tac, sans aucun autre son ou musique parasite (sauf, bien sûr, les dialogues prononcés par les personnages, réels ou en rêve).

Rosemary's Baby est un film grandiose, au scénario impeccable et à la distribution remarquable, qui témoigne une fois de plus de la fascination malsaine de Polanski pour le satanisme et les sectes - le film fait directement écho à la tragédie qui marqua la vie du réalisateur, soit l'assassinat de sa femme Sharon Tate, enceinte de huit mois, un an après la sortie de Rosemary's Baby. Une œuvre mêlant horreur, suspense et fantastique, à ne pas manquer.

5 septembre 2010

Requiem for a Dream


Titre original : Requiem for a Dream
Réalisateur : Darren Aronofsky
Avec : Jared Leto, Jennifer Connelly, Ellen Burstyn, Marlon Wayans...
Date de sortie : 2000
Pays : USA
Note : ♥♥♥♥♥

Requiem for a Dream est le deuxième long-métrage (après le déroutant Pi, deux ans plus tôt) du jeune cinéaste Darren Aronofsky. Il s'agit d'une adaptation du roman du même nom de Hubert Selby Jr. (mal traduit en français par Retour à Brooklyn.), notamment connu pour son Last Exit to Brooklyn et ses personnages dépressifs et désespérés.

L'histoire est celle de quatre dépendances, vécues par les quatre personnages principaux. Harry Goldfarb (Jared Leto), sa copine Marion Silver (Jennifer Connelly) et son pote Tyrone (Marlon Wayans) se droguent à l'héroïne. et évoluent lentement mais sûrement du plaisir vers la contrainte. Parallèlement, la mère de Harry, Sara Goldfarb (Ellen Burstyn), apprend qu'elle est invitée sur le plateau de son émission de télé favorite, et se fait prescrire des pilules dans le but de perdre huit kilos et rentrer dans sa vieille robe rouge pour l'occasion. Les pilules s'avèrent être des amphétamines et Sara plonge elle aussi dans l'enfer de l'addiction...

Le film est construit sur le schéma de la descente aux enfers, progressive et inexorable. Dès le début, on sait que la situation des personnages ne va aller qu'en se dégradant, qu'il n'y a pas vraiment d'espoir et qu'il n'y aura pas de happy end. Pour illustrer ce propos, Requiem for a Dream est divisé en trois "chapitres" : Summer, Fall, Winter. L'état des quatre héros évolue avec les saisons, et pour eux, il n'y aura jamais de printemps. 

La transformation des personnages est saisissante. Au début, Harry, Marion et Tyrone sont des jeunes pleins de vie, d'amour, d'amitié, d'humour et de bonne santé. Leurs regards sont pétillants, leurs relations attendrissantes. Au fur et à mesure, leurs traits se creusent, leurs relations se dégradent, les disputes s'accumulent, leurs visages sont blafards. Le maquillage, chargé sans jamais être outrancier, contribue grandement à montrer cette dégradation progressive. Il en va de même pour la mère : au début, elle est une femme pleine de vitalité, avec quelques kilos en trop mais qui respire la joie de vivre. Puis elle se transforme en une sorte de zombie hagard, anorexique, les cheveux en pétard et les yeux rougis. Cette évolution physique va aller jusqu'au point de non-retour - que je ne dévoilerai pas ici, puisqu'il vous gâcherait le suspense.

Les acteurs du film mériteraient chacun un Oscar. Jared Leto prouve qu'il sait jouer autre chose que les ados bien proprets des teen movies auxquels il était habitués (voir la critique d'hier...) et livre une prestation aussi naturelle que touchante. Jennifer Connelly interprète elle aussi magistralement son rôle - pourtant difficile - de toxicomane prête à tout pour se payer son shoot quotidien. Marlon Wayans abandonne son sempiternel rôle de bouffon farceur qu'il partageait avec son frère et montre qu'il est capable de bien plus. Mention spéciale, enfin, à l'excellente Ellen Burstyn, dans un rôle qui restera dans les annales. Son interprétation de Sara, la mère fantasque qui s'enfonce dans la dépendance, est dure, émouvante, dérangeante.

Le film bénéficie de seconds rôles à la hauteur des interprètes principaux - notamment Sean Gullette, qu'Aronofsky avait déjà dirigé dans Pi, et qui joue le psychiatre pervers de Marion, ou Marcia Jean Kurtz, dans le rôle d'une des amies de Sara.

La photographie de Requiem for a Dream sert son scénario ; ainsi, les couleurs sont d'abord vives (herbe vert fluo, robe rouge, ciel bleu azur...) lorsque les personnages vont encore bien (dans le chapitre Summer), puis deviennent de plus en plus désaturées en parallèle avec la descente aux enfers de Harry et des autres. De même, les lieux choisis pour le tournage sont d'abord des parcs, des allées ensoleillées et des appartements accueillants, pour devenir des ruelles glauques, des restaurants grisâtres et des ambiances pluvieuses.

La particularité du film est l'utilisation particulière que fait Darren Aronofsky de la technique dite du "split screen" ("écran coupé/partagé"). La technique consiste à couper l'écran en deux (dans le sens de la longueur ou de la largeur) pour montrer une même action simultanément sous deux angles différents. Par exemple, Aronofsky montre en même temps les yeux de Sara Goldfarb étudiant ses boîtes de pilules, et un gros plan sur les pilules en question ; ou, lorsque Harry et Marion font l'amour, une partie de l'écran nous montre les mains de Harry sur le corps de Marion, et l'autre partie celles de Marion se promenant sur le corps de Harry.

L'autre effet visuel récurrent dans Requiem for a Dream (déjà utilisé dans Pi) est le montage très particulier des séquences de "shoot", lorsque les trois personnages s'injectent leur héroïne. Jamais on n'assiste à une scène de shoot à proprement parler. Le réalisateur choisit de les représenter par un montage très saccadé d'une succession d'images nous faisant comprendre ce qui se passe, tout en très gros plans : la poudre marron qui tombe dans la cuillère, le briquet qui s'allume, le piston de la seringue qui est poussé, la pupille qui rétrécit, et un soupir de contentement. 

Même chose pour Sara Goldfarb qui prend ses pilules : le "pop" de la boîte qui s'ouvre, la bouche qui s'ouvre, le verre d'eau pour avaler. Ce montage visuel et sonore est utilisé à chaque fois que les personnages prennent de la drogue, et devient un leitmotiv lancinant. Par moments, cet effet - la marque de fabrique d'Aronofsky - est utilisé simultanément avec le split screen - ainsi, on aura deux cuillères, deux briquets, deux seringues et deux yeux de couleur différentes en parallèle, lorsque Marion et Harry se shootent en même temps.

Requiem for a Dream est un film mémorable, dur, cru et très dérangeant, à déconseiller aux âmes sensibles. Un plaidoyer anti-drogue jamais complaisant, jamais attendu, toujours sincère et réaliste. À ne pas manquer !

4 septembre 2010

Urban Legend


Titre original : Urban Legend
Réalisateur : Jamie Blanks
Avec : Jared Leto, Alicia Witt, Rebecca Gayheart, Michael Rosenbaum...
Date de sortie : 1998
Pays : USA
Note :

Urban Legend fait partie de cette longue liste de "teen movies" (films pour ados) américains qui ont vu le jour dans les années 1990. Ce sont toujours des films d'horreur, les héros sont toujours lycéens ou étudiants, sortent toujours les uns avec les autres, se font décimer par un dangereux psychopathe... Et les films sont toujours très mauvais. Quelques exemples-type de ce genre de nanars : Souviens-toi... l'été dernier (avec la alors très en vogue Sarah Michelle Gellar), Scream, Halloween... et, donc, ce Urban Legend.

Le principe est simple : le scénario s'appuie, comme son nom l'indique, sur ces légendes urbaines horrifiques, dont nous avons tous déjà entendus parler (la baby-sitter qui tue les enfants, l'homme qui lèche la main de la petite fille à la place du chien...) et qui sont internationalement connues et transmises de génération en génération.

L'histoire se passe sur le campus d'une grande université américaine (décor idéal pour un teen movie !), sur lequel des étudiants disparaissent ou meurent dans des circonstances étranges. La candide Natalie (Alicia Witt) découvre que les étudiants sont tués sur le modèle de diverses légendes urbaines, mais personne ne croit à son hypothèse., Elle mène  alors l'enquête de son côté avec le beau Paul (Jared Leto), rédacteur du journal de l'université et fouineur hors pair. Pendant ce temps, les amis de Natalie sont assassinés un par un...

L'intrigue n'est pas excellente, ni d'une originalité folle, mais elle aurait suffi à construire un film correct. Le problème, c'est qu'en dehors de cette ébauche de scénario, il n'y a rien de correct dans le navet de Jamie Blanks... A commencer par le dénouement. Pour être surprenant, il l'est. Effectivement, le tueur n'est pas du tout celui qu'on suspectait - où qu'on était censés suspecter, grâce à des allusions grosses comme des maisons délicatement semées par le réalisateur pour nous induire en erreur. Mais la résolution de l'enquête et la découverte du qui, du pourquoi et du comment manque tellement de toute forme de crédibilité qu'on aurait préféré, au fond, ne jamais savoir. Frustrant, peut-être, mais pas aussi ridicule, absurde et invraisemblable que la fin qu'on nous sert... Fin qui ruine tout ce qu'il y avait de bon dans le scénario du film.

Ensuite, le majeur problème vient des acteurs et de leurs dialogues. Les jeunes comédiens sont tous lamentablement mauvais, récitent leurs (mauvaises) répliques comme s'ils les avaient appris par coeur, manquent totalement de naturel. Jared Leto est le seul à tirer son épingle du jeu, et ce malgré le rôle typique et attendu du "beau gosse" de l'histoire que les scénaristes lui ont attribué. Les autres sont tous plus affligeants les uns que les autres, et leurs personnages une accumulation de clichés (le gars farceur, le beau gars qui fait tomber toutes les filles à ses pieds, la blonde pulpeuse et vulgaire aux gros seins et à la petite cervelle, la brune gothique et renfermée...).

La mise en scène est d'une banalité extrême, et manque cruellement d'imagination. Comme dans tout film d'horreur qui se respecte, le réalisateur tient à nous faire sursauter un certain nombre de fois ; mais l'enchaînement des plans est tellement vu et revu qu'on s'attend à chaque fois à l'horreur qui va surgir, si bien qu'au final, on ne sursaute pas du tout. La photographie du film est elle aussi terriblement ordinaire, et les plans sont dépourvus de toute esthétique ou recherche visuelle - comme si le réalisateur avait posé sa caméra au hasard, du moment qu'elle cadrait l'action.

Vraiment rien à récupérer, donc, si ce n'est une petite partie de l'intrigue (qui aurait dû être développée de façon radicalement différente) et l'interprétation de Jared Leto, qui, sans être mémorable, contraste avec celles, pitoyables, des autres comédiens. Film à éviter, qui plaira peut-être aux ados d'une douzaine d'années (et encore)...

3 septembre 2010

Innocents


Titre original : The Dreamers
Réalisateur : Bernardo Bertolucci
Avec : Eva Green, Louis Garrel, Michael Pitt, Robin Renucci...
Date de sortie : 2003
Pays : France, USA, Italie
Note : ♥♥♥♥♥

Innocents (titre, comme souvent, très mal traduit) est un film adapté du roman de Gilbert Adair, réalisé par le cinéaste Bernardo Bertolluci (connu pour son Dernier Tango à Paris, qui fit scandale à sa sortie en 1972, son Novecento - 1900 en 1976 ou son Dernier Empereur en 1987).

L'intrigue du film se déroule à Paris, en 1968, juste avant les grands chamboulements du mois de mai. Isabelle (Eva Green) et Théo (Louis Garrel) ont 19 ans, ils sont jumeaux et vivent avec leurs parents dans un immense et luxueux appartement. Lors d'une manifestation à la Cinémathèque Française, ils font la connaissance de Matthew (Michael Pitt), un Américain de leur âge venu passer un an d'études France. Liés par leur amour du cinéma, ils sympathisent avec lui et l'invitent à loger dans leur appartement, désertés par les parents partis en vacances.

Entre les quatre murs de l'appartement, Matthew va entrer dans l'intimité trouble des jumeaux. Isabelle et Théo dorment nus dans le même lit, serrés l'un contre l'autre. Prétendent qu'ils s'aiment et ne se sépareront jamais. Jouent à un jeu consistant à mimer des scènes de films connus, et à en faire deviner le titre à l'autre.  Vivent totalement à l'écart du monde extérieur et de la révolte qui gronde. L'Américain, candide et peu expérimenté, sera peu à peu entraîné dans le monde infantile, naïf et auto-destructeur des jumeaux, et par la même occasion dans un étrange ménage à trois... Au bout du compte, les trois "rêveurs" finiront pas être rattrapés par la réalité, et leur vie changera pour toujours.

Comme l'avait fait Le Dernier Tango à Paris à l'époque, Innocents a choqué à sa sortie, pourtant très récente. Bertolucci ne cherche pas à échapper à la censure, montrant de façon très voyeuriste ce qui se trame dans l'appartement - les ébats d'Isabelle et de Matthew, leurs ébats à trois, la nudité frontale dans de nombreuses scènes. Le cinéaste inclut totalement le spectateur dans le huis-clos de l'appartement, nous permettant d'assister à l'intégralité de ce que vivent les jumeaux et leur invité, coupés du monde, perdus dans leur jeux et leurs rêves. Isabelle et Théo entraînent leur ami dans leurs jeux pervers et sexuels, que l'on découvre parallèlement à ce dernier.

Les trois acteurs principaux sont saisissants de crédibilité et de naturel. Eva Green et Louis Garrel parviennent à rendre évidente la relation malsaine et complexe qu'ont développée les deux jumeaux entre eux. Michael Pitt (dont le rôle devait d'abord être interprété par Leonardo DiCaprio !) joue à la perfection son rôle de touriste candide et mal à l'aise dans l'univers sensuel et enfantin dans lequel il est entraîné malgré lui, entre amour, fascination et dégoût. Le film a été tourné en français et en anglais, ajoutant au réalisme et permettant de marquer la barrière qui sépare les jumeaux (qui parlent français entre eux) et Matthew - avec lequel ils s'expriment en anglais. Matthew ne comprend pas le français, et est ainsi exclus des discussions trop intimes entre les jumeaux.

La photographie, comme toujours chez Bernardo Bertolucci, est impeccablement travaillée, et chaque plan du film pourrait être pris à part et analysé pendant des heures, pour ses qualités esthétiques et narratives. La bande originale, magistrale, mélange des artistes des années 60 (Janis Joplin, Jimmi Hendrix...), de la chanson française (Édith Piaf, Françoise Hardy...) et des musiques des vieux films que le trio affectionne tant.

À la manière d'un Tarantino, Bertolucci manifeste son amour du cinéma à travers de très nombreux hommages et références plus ou moins explicites : lorsque les jumeaux jouent à leur jeu de "Devine quel film je mime", il mélange les images d'Isabelle ou Théo à celles, authentiques, tirées du film qu'ils essayent de reproduire. On retrouve ainsi Eva Green imitant Greta Garbo dans La Reine Christine ou Jean Seberg dans À Bout de Souffle, et Théo mimant Paul Muni dans Scarface.

Le réalisateur inclut également des vrais extraits de film lorsque les personnages parlent desdits films (ainsi Les Lumières de la Ville ou Freaks), ou lorsque Isabelle, Théo et Matthew parcourent le musée du Louvre en courant, essayant de vaincre le record de 9 minutes et 43 secondes du film Bande à Part, où les trois protagonistes faisaient la même chose... Les spectateurs cinéphiles prendront donc plaisir à tenter d'identifier les innombrables références visuelles, sonores (extraits de musique de films) ou basées sur les dialogues (à l'image de la scène où les jumeaux scandent "We  accept him, one of us !" phrase répétée dans le film Freaks à plusieurs reprises) faites aux films des années 20 à 50.

Un excellent film, que ce soit au niveau du casting, de la photographie, du scénario ou de la réalisation. À voir pour tous les passionnés de cinéma, et tous les autres.

2 septembre 2010

Le Bruit des Glaçons


Réalisateur : Bertrand Blier
Avec : Jean Dujardin, Albert Dupontel, Anne Alvaro, Myriam Boyer...
Date de sortie : 2010
Pays : France
Note : ♥♥♥

De Bertrand Blier, je connaissais surtout les quelques films - devenus cultes - du début de sa carrière dans les années 70, dont Les Valseuses ou Buffet Froid. Récemment, le réalisateur avait écrit plusieurs comédies françaises mineures, comme Pédale Dure ou Combien tu m'aimes. Son nouveau film, Le Bruit des Glaçons, n'était donc pas le film que je tenais absolument à voir.

D'autant plus que l'affiche ne joue pas en sa faveur. Fond blanc, têtes d'acteurs connues, typographie fluo... La présence de Jean Dujardin parachève le tableau : on croit à une gentille comédie franchouillarde, pas trop mauvaise, pas très bonne non plus. Dujardin n'ayant que des rôles comiques à son actif - si l'on exclut le rôle mi-sérieux du publicitaire cocaïnomane de 99 Francs - j'avais du mal à imaginer autre chose qu'une énième comédie romantico-dramatique, banale et déjà vue.

Malgré tout, c'est un Blier. Donc je me décide à aller le voir.

J'ai été très agréablement surprise. Le film est à mille lieues de ce à quoi je m'attendais, à commencer par un Jean Dujardin aux antipodes de ses rôles habituels. Cette fois, il est Charles Faulque, un écrivain célèbre qui est devenu lourdement alcoolique depuis que sa femme l'a quitté avec son fils, huit ans plus tôt. Dujardin a la démarche traînante et instable, une vieille veste en laine râpée, la bouteille de blanc toujours à portée de main (dans son seau à glace, d'où le fameux bruit des glaçons qui l'accompagne partout) et un caractère dépressif, voire suicidaire. Et ça lui réussit. Son personnage est convaincant du début à la fin.

Mais qu'arrive-t-il donc à Charles Faulque ? L'intrigue tient en deux lignes : un beau jour, alors qu'il vit reclus dans sa villa du Sud de la France, on sonne à la porte. Qui est-ce ? 

Son cancer.

Oui, voilà le point de départ (plutôt gonflé) du nouveau film de Blier. Le cancer du cerveau de Faulque, personnifié sous les traits d'Albert Dupontel, débarque dans la vie de l'écrivain. Et s'y installe. S'en suit une cohabitation forcée, que Faulque commence par rejeter, puis finit par accepter, et même réclamer... Difficile d'en raconter davantage sans dévoiler une partie du film. Les péripéties se multiplient, les retournements de situation aussi. Blier parvient à installer un vrai suspense, qu'il maintient habilement jusqu'aux dernières minutes du film.

Comme toujours chez Bertrand Blier, les dialogues, très nombreux, sont magistralement bien écrits. Malgré le sujet pourtant difficile, l'humour est omniprésent - un humour cynique, grinçant, qui fait la réussite du film. Il fallait oser, pourtant. Par moments, on se demande jusqu'à quel point on peut rire de tout. Volontairement provocateur, Blier n'hésite pas à multiplier les répliques que certains trouveront franchement dérangeantes. Je me suis demandé plusieurs fois comment réagissaient les spectateurs qui avaient eu un cancer, ou qui y avaient été confrontés de près. Pas sûre qu'ils en rient.

Personnellement, je suis d'avis qu'il est possible de rire de tout, sauf lorsque l'humour vire au mauvais goût. Mais ce n'est jamais le cas chez Blier. On rit de bon cœur, donc, pendant une grande partie du film. Les moments les plus tragiques sont systématiquement dédramatisés par une réplique acide, ou une remarque cynique lancée par le cancer. Le cinéaste porte un regard tout à fait nouveau sur un thème déjà vu et revu (la maladie, la réaction des proches, etc.) ; Le Bruit des Glaçons devient ainsi un film unique, inclassable.

Côté casting, les acteurs sont tous choisis à la perfection. Dujardin s'accomode parfaitement de ce changement de registre et parvient à mettre son talent comique au service d'un genre radicalement différent. Dupontel, le cancer, est extrêmement drôle. Mention spéciale à l'actrice Anne Alvaro, qui interprète la domestique de Faulque, Louisa, une femme a priori coincée et timide mais qui se révélera être bien plus... Les seconds rôles sont impeccables, depuis la candide Christa Theret (la jeune immigrée russe qui fait office de prostituée à plein temps à la villa de Faulque) à l'angélique Émile Berling, qui joue le rôle du fils adolescent de l'écrivain.

La bande originale du film contribue à sa qualité et à son originalité inattendue, avec des artistes aussi variés que Brel, Nina Simone, Leonard Cohen ou Gustav Mahler. Le décor qui abrite 99% de ce quasi-huis clos, une immense villa avec piscine perdue dans la campagne de Provence, est photographié et mis en valeur avec soin. Blier en exploite tous les recoins, à tel point que la maison devient presque un personnage à part entière.

Un film inattendu, provoquant, drôle et culotté, à voir pour ses brillants dialogues et l'excellente prestation de ses comédiens.

1 septembre 2010

Sid & Nancy


Titre original : Sid & Nancy
Réalisateur : Alex Cox
Avec : Gary Oldman, Chloe Webb, David Hayman, Andrew Schofield...
Date de sortie : 1986
Pays : Angleterre
Note : ♥♥♥

Aujourd'hui, on plonge dans le Londres du milieu des années 70 : vestes en cuir cloutées, maquillage outrancier et crêtes vertes sur la tête. Plus précisément dans la vie ô combien tourmentée du bassiste du groupe punk The Sex Pistols, Sid Vicious...

Le film, loin d'être une biographie exhaustive de Sid, se concentre essentiellement sur l'histoire d'amour destructrice qu'il a vécue avec Nancy Spungen, prostituée et toxicomane de 18 ans tout droit venue des États-Unis. Le réalisateur ne s'intéresse que très modérément aux Sex Pistols, préférant suivre Sid dans sa vie privée, et dans la déchéance qui finira par le tuer.

On a rarement vu un film aussi sombre, aussi désespérément pessimiste. Le film est à l'image du mouvement punk dont il traite : "No future" pour ces deux-là, se dit-on on le voyant. No future pour Sid (Gary Oldman) et Nancy (Chloe Webb), qui tombent progressivement dans une dépendance totale à l'héroïne, ne vivent plus que pour leur shoot quotidien, passent leur temps à se hurler dessus puis à pleurer dans les bras l'un de l'autre, complètement à plat. L'atmosphère du film est volontairement glauque, oppressante, violente ; chambres d'hôtel sordides au possible, concerts où l'on se crache de la bière à la figure, voitures allègrement défoncées par une bande de punks ivres, taudis envahi par des camés amorphes vautrés sur les canapés sales, concours de pets et de rots...

Pas de place pour la beauté, la nature, les scènes douces. La vie de Sid et Nancy a été une succession de malheurs, de désillusions, d'échecs. La drogue a mis fin au groupe de Sid Vicious, à ses amitiés, à son amour et finalement, peu après, à sa vie.

Le réalisateur veut visiblement coller au plus proche de la réalité : les costumes, les attitudes, les looks respectent assidûment toutes les vraies images et vidéos que l'on a de Sid et de Nancy. Certaines scènes sont pareilles à des reconstitutions, où chaque geste, chaque mot est calqué sur la réalité, sur les vraies archives de Sid Vicious. Cependant - et on peut se demander pourquoi -, il choisit de conclure son film sur des faits non avérés, voire inventés...

En effet, Sid & Nancy se conclut sur la mort non pas de Sid, mais de Nancy Spungen. Les faits officiels, en 1978, étaient les suivants : Sid et Nancy logeaient au Chelsea Hotel à New York, et avaient passé la soirée complètement défoncés. Le lendemain, Nancy, qui avait alors 20 ans, est retrouvée morte sur le sol de la salle de bains, poignardée à l'abdomen et vidée de son sang... On retrouve l'arme du crime : un couteau appartenant à... Sid Vicious. Cependant, la police n'a jamais pu établir ce qui s'était passé : on n'a aucune preuve que Sid soit responsable de la mort. Certains émettent l'hypothèse d'un règlement de comptes entre junkies, qui s'est déroulé dans la nuit et auquel Sid n'a pas assisté, endormi dans le lit... Sid est relâché sous caution quelques temps plus tard.

Alex Cox, lui, nous montre la scène telle qu'il se l'imagine : dans le film, Sid et Nancy de disputent violemment. Exaspéré par les hurlements hystériques de Nancy, Sid finit par se saisir de son couteau ; Nancy se jette sur lui, et Sid la poignarde, plus par accident que par préméditation. Sid s'endort ensuite, laissant Nancy agoniser dans la salle de bains...

Cette version des faits est une possibilité, mais certainement pas une certitude. Sans soute le cinéaste ne voulait-il pas terminer son film sur une interrogation, une incertitude... Étrangement, il évince totalement la mort de Sid Vicious, quelques mois plus tard. Sid meurt d'une overdose d'héroïne. Il avait 22 ans. Non, ici, on a droit à une dernière scène onirique, sans aucun doute la plus optimiste, la plus belle, la plus sereine du film : Sid, en pleine hallucination, imagine que Nancy vient le rejoindre. Ils montent ensemble dans un taxi, qui s'en va vers l'horizon... Une métaphore soulignant le fait que Sid rejoint Nancy dans la mort ? Sans doute. La vérité, elle, est affichée sur fond noir, juste avant le générique : "Sid Vicious died of a heroin overdose in 1978".

Côté casting, mes sentiments sont partagés. Rien à dire, le tout jeune Gary Oldman est parfait dans le rôle de Sid Vicious, tant dans l'apparence que dans le jeu d'acteur. Il en fait des tonnes, pousse le personnage à l'extrême, mais on y croit. Surtout quand on sait que non, ce n'est pas exagéré, le vrai Sid se comportait bel et bien de la même manière. Démarche chancelante d'homme ivre, accent Cockney à couper au couteau, coiffure en pétard et garde-robe destroy à souhait... On y croit.

L'actrice qui joue Nancy Spungen, en revanche, convainc beaucoup moins. Raison principale : son âge... Chloe Webb avait 30 ans lorsque le film a été tourné. Or, Nancy est censée en avoir 18 au début, et 20 à la fin... Non seulement Webb a dix ans de plus, mais en plus, elle ne fait vraiment, vraiment pas fraîche. La vraie Nancy, malgré son maquillage baveux et ses yeux rouges, restait relativement pétillante et jolie. Chloe Webb, elle, ressemble à s'y méprendre à un travesti quinquagénaire... Comme si ce physique ingrat ne suffisait pas, elle a une gouaille presque insupportable. Lorsqu'elle crie, on en attrape des migraines. Malgré tout, si on fait abstraction de la ressemblance physique et de la cohérence par rapport à l'âge, sa prestation en elle-même est bonne. Comme Gary Oldman, elle a su parfaitement s'approprier son personnage, vulgaire, capricieuse et lunatique.

Le reste du casting, même si peu présent, est bien choisi. L'acteur qui joue le rôle de Johnny Rotten, le chanteur des Sex Pistols, n'est absolument pas ressemblant mais néanmoins admirable.

Un film sombre et dur, donc, qui nous livre une vision noire et déprimante du Londres des années 70. En plus de l'histoire de Sid Vicious, on y apprend le mode de vie bien particulier des outsiders de l'époque... Une plongée fascinante dans le monde du mouvement punk anglais, pas si loin de A Clockwork Orange. Indispensable pour les fans de Sid Vicious, intéressant pour tous les autres.