27 novembre 2010

LOL


Réalisatrice : Lisa Azuelos
Avec : Christa Theret, Sophie Marceau, Jérémy Kapone, Lou Lesage...
Date de sortie : 2008
Pays : France
Note : ♥♥

"Dis Julien, je voulais te demander un service...
Tu veux pas qu'on fasse l'amour ?"

LOL, c'est une abréviation ultra-utilisée par les ados du monde entier, qui ignorent pour la plupart sa signification réelle : "laughing out loud". LOL, c'est aussi le surnom de Lola, héroïne de 15 ans du film éponyme de Lisa Azuelos. La réalisatrice est surtout connue pour sa gentille comédie spéciale filles, Comme t'y es belle, sortie en 2006.

L'histoire de LOL ? Difficile à raconter, car l'intrigue est inexistante. Il s'agirait plutôt d'une série d'instantanés dans la vie d'adolescents parisiens, issus d'un milieu aisé. Lycée, amis, amours, premiers émois sexuels, drogue (gentiment, tout de même), parents plus ou moins conciliants... On suit donc Lola (Christa Theret) dans ses aventures avec sa bande de potes, ses révisions de brevet, ses galères avec son petit copain, ses relations avec sa mère (Sophie Marceau). Sans rebondissements ni début ni fin, le scénario nous entraîne simplement dans le quotidien de ces ados comme tous les autres.

Les critiques avaient, pour beaucoup, encensé le film pour son parti pris soit-disant original et décalé. Si parfois on ressent cette volonté dans LOL, elle n'est pas du tout assez aboutie, et c'est le majeur défaut du film. Celui-ci se veut visiblement original, fonctionnant sur l'autodérision et l'humour lié au genre de la comédie romantique. À l'image de la scène d'ouverture, où trois adolescentes arrivent au lycée, filmées au ralenti et cheveux au vent... et où la voix-off de Lola nous annonce que "Là, on est au ralenti parce que dans les séries américaines, quand les plus belles meufs du lycée arrivent, elles sont toujours au ralenti"... Ou cette scène un brin mélodramatique où les deux meilleurs potes sont sur le toit et s'avouent leur amitié indéfectible à grands renforts de pathos... jusqu'à ce que l'un d'eux fasse remarquer que "là, ça fait un peu la séquence pathétique, genre les deux meilleurs potes sont sur le toit et tout..." De temps à autre, la réalisatrice parvient à jouer sur les codes du genre et à donner un ton décalé au film.

Le problème, c'est que souvent, trop souvent, LOL retombe exactement dans ce qu'il s'efforce de parodier. Et c'est justement parce qu'il essaye de s'en détacher que ça en devient doublement ridicule... Nous avons malheureusement droit à moult moments totalement clichés, que d'autres films ont beaucoup mieux réussi à éviter : personnages déprimés pleurant sur une musique triste, flashbacks des moments joyeux défilant au ralenti... Histoires d'amour faussement finies pour toujours, puis les deux intéressés se jetant dans les bras l'un de l'autre... Père de l'un des ados, coincé et autoritaire, qui finit par se rendre compte du talent musical de son fils jusqu'à en pleurer d'émotion... Du coup, les scènes "parodiques" paraissent artificielles, forcées, comme pour s'excuser de ne pas avoir réussi à faire un film réellement original.

Les personnages, même si certains sont attachants, n'évitent pas non plus les stéréotypes. Les parents comme les ados sont divisés en catégories : la "pouffe" vulgaire et qui couche avec tout ce qui bouge, le "beau gosse" dont toutes les filles sont folles, le musicien amateur de guitare et de pétards, le fils de ministre au nom composé et au physique ingrat... Côté adultes, il y a la mère tendance qui s'habille et parle comme sa fille de 15 ans, les parents stricts et coincés qui ne permettent rien à leurs enfants, le prof de maths jeune et canon qui fait rêver la gent féminine... Chacun de ces personnages évolue exactement comme on s'y attend, jusqu'au happy end général.

L'autre gros défaut de LOL est que Lisa Azuelos oscille entre plusieurs genres ; ce qui fait que finalement, aucun d'eux n'est suffisamment abouti. Le film se veut drôle, mais les scènes où l'on rit vraiment sont rares. Le plus souvent, on sourit vaguement, non pas à cause du scénario mais à cause des souvenirs que la vision de ces ados suscite chez nous. Les moments romantiques sont présents, trop pour les spectateurs qui espéraient quelque chose de différent, mais pas assez pour satisfaire les amateurs du genre. Les moments tristes viennent ponctuer le tout de façon extrêmement prévisible...

La qualité du film réside dans ses interprètes, naturels et convaincants. Mention spéciale à la toute débutante Christa Theret, qui porte le film sur ses épaules et joue à la perfection l'ado-type qu'est Lola. Les autres acteurs adolescents sont plus ou moins bons - l'une d'elles, Lou Lesage, a toutefois un niveau bien inférieur à celui de ses comparses. Chez les adultes, on retiendra particulièrement la prestation d'Alexandre Astier (souvenez-vous, le roi Arthur de Kaamelott) dans son rôle de père divorcé, et celle, drôle et décalée, de Françoise Fabian dans celui de la grand-mère aussi inquisitrice qu'adorable. 

Quant à Sophie Marceau - le principal argument commercial du film lors de sa sortie - je ne l'ai pas trouvée si exceptionnelle que ça. Certes, son jeu est naturel et crédible en mère de famille partagée entre ses responsabilités d'adulte et ses envies de se comporter en ado immature... Mais personnellement, je l'ai trouvée plus agaçante qu'attachante. À croire quelle n'a toujours pas réussi à se détacher de son personnage de La Boum, qui l'avait rendue célèbre vingt-cinq ans plus tôt. Sa façon de parler résolument "jeune", sa relation "meilleure copine" avec sa fille, le tout a tendance à irriter. Elle tire tout de même son épingle du jeu lors de certaines scènes plus noires, dans lesquelles elle parvient davantage à s'imposer que dans le registre de l'humour léger.

LOL est donc un film sans aucune surprise, comme on en a déjà vu des dizaines. Les amateurs de feel good movies apprécieront - ceux qui espéraient un film original seront déçus. À voir uniquement pour la justesse de certaines scènes, dans lesquelles parents et ados se retrouveront.

11 novembre 2010

Iron Man


Titre original : Iron Man
Réalisateur : Jon Favreau
Avec : Robert Downey Jr., Gwyneth Paltrow, Jeff Bridges, Terrence Howard...
Date de sortie : 2008
Pays : USA
Note : ♥♥♥♥♥

"Yeah, peace ! I love peace. I'd be out of a job with peace." 

Non, vous ne rêvez pas : j'ai bien accordé cinq ♥ à un film américain 1) d'action, 2) de super-héros. Je ne pensais pas que ça arriverait un jour... Il faut savoir que je suis absolument pas fan de films de super-héros. J'ai beau chercher, je ne trouve pas d'intérêt à regarder ces films fonctionnant éternellement sur le même scénario, les mêmes personnages stéréotypés, le même super-héros superpuissant contre le super-méchant superpuissant aussi. Généralement, je fuis à l'annonce d'un film se terminant en -Man, qu'il soit Super-, Bat-, Spider-, ou, donc, Iron-.

Et voilà que ce dernier, dont je n'attendais rien de plus qu'un blockbuster cliché au goût de déjà-vu, me surprend au point de lui coller la note maximale... Il faut dire qu'Iron Man est aux antipodes de tous ses prédécesseurs.

Le film est tiré, comme beaucoup de films de super-héros, des comics américains Marvel. Le personnage d'Iron Man, en l'occurence, est apparu pour la première fois dans le magazine Tales of Suspense en 1963. Le jeune réalisateur Jon Favreau - jusqu'alors totalement inconnu au bataillon - a librement pioché dans les diverses aventures de l'homme en armure de métal rouge et or pour en concentrer le meilleur sur deux heures de film.

L'histoire ? Celle de Tony Stark (Robert Downey Jr.), playboy multimilliardaire et bricoleur de génie qui gagne sa croûte en vendant des armes. Lors d'un voyage d'affaires en Afghanistan, où il doit faire la promotion de son nouveau missile, Stark est attaqué par un groupuscule terroriste qui le prend en otage et lui fournit le matériel nécessaire pour construire, pour les besoins du groupe, le fameux missile dont il était venu vanter les mérites. Faisant mine d'accepter, Stark se fabrique en réalité une armure métallique qui lui permet de s'échapper des mains des terroristes.

Une fois de retour aux États-Unis, Tony crée le scandale en annonçant la fermeture de la branche Armement de sa compagnie, Stark Industries, afin de se consacrer pleinement au développement de son armure révolutionnaire. Décision qui n'est pas au goût de son ami et collègue de longue date, Obadiah Stane (Jeff Bridges), avec lequel il commence à avoir des divergences d'opinion importantes...

Difficile d'aller plus loin sans spoiler une grande partie du film. Et pourtant, ces événements ne constituent que le début d'Iron Man, suivis par une série de péripéties, de retournements de situation et de révélations dignes d'un excellent thriller.

Alors, qu'est-ce qui fait de cet énième film de super-héros une œuvre à part, largement considérée par le public et la critique comme la meilleure adaptation de Marvel jamais réalisée ? Le plus simple est sans doute d'argumenter point par point, en soulignant tous les contrastes qui existent entre Iron Man et ses prédécesseurs et qui placent le film bien au-dessus de ces derniers...


1. Iron Man n'est pas un super-héros. 
 
Oui oui, vous avez bien lu. Contrairement à ses congénères, Tony Stark est un homme comme vous et moi. Point de modifications génétiques, point d'habilité naturelle à voler en brandissant le poing en l'air, point de bave d'araignée radioactive au bout des doigts. Iron Man est simplement Tony Stark vêtu de son armure, une armure qu'il a construite de toutes pièces. 
La seule chose qui différencie Stark du commun des mortels est le "Arc Reactor", sorte de pacemaker lumineux et high-tech qu'il a sur la poitrine (lors de son attaque en Afghanistan, il est blessé par des éclats d'obus, et le seul moyen de le maintenir en vie est de lui implanter une source d'énergie qui empêchera les éclats de pénétrer dans son cœur). C'est cette source d'énergie super-puissante qui servira de moteur à l'armure. Encore une fois, il s'agit uniquement de technologie créée des mains de l'homme, et pas d'un super-pouvoir inné. C'est ce qui rend le personnage intéressant : ses origines sont explicitées de A à Z, dans un registre parfaitement réaliste, et rien n'est considéré comme acquis dès le début du film. On assiste à la transformation de Tony en Iron Man, et on y croit. Le fantastique est totalement absent du film.

2. Tony Stark n'a rien du héros classique.
 
Lors de la création du héros en 1963, les deux auteurs du comic sont partis d'un pari un peu fou : faire apprécier aux jeunes lecteurs un personnage qui, à l'origine, n'a rien de sympathique. Jon Favreau a manifestement adopté la même démarche. En effet, le Tony Stark du début du film - avant sa capture en Afghanistan - n'a rien de l'habituel héros pour lequel on éprouve de l'empathie dès les premières minutes... Stark, fils de milliardaire, dirige une compagnie qui fabrique et vend des armes. Il n'a aucun scrupule, est heureux de pouvoir vendre sa marchandise aux pays en guerre, est sincèrement persuadé qu'il agit pour le plus grand bien de l'humanité. Stark est un playboy content de lui, parfois arrogant, qui profite et abuse de son statut de multimilliardaire. Stark couche avec tout ce qui bouge, ne respecte rien ni personne. Il est la personnalisation du capitalisme extrême. Il est à mille lieux des héros bons, droits et honnêtes auxquels Marvel nous avait habitués. A priori, on a plutôt envie de lui filer des baffes.

Et pourtant... Pourtant, dès le début, son excentricité et son humour cynique suscitent l'intérêt. Et plus il évolue dans le film, plus on l'aime. Forcément, les trois mois passés en captivité vont transformer notre homme, qui en vient à réaliser que ses propres armes servent à massacrer des innocents et qui va dès lors refuser de continuer son business de la mort... Tony n'a cependant rien du vu et revu héros sombre et torturé, sérieux comme un pape, déchiré entre ses super-pouvoirs et son aspiration à une vie normale... Ici, Stark est fier de son invention, ne cherche pas à la cacher et joue sur sa notoriété.

Même physiquement, Tony Stark n'a rien du super-héros tel qu'on le connaît. Pour une fois, pas de jeune premier de tout juste 25 ans dans le rôle du héros. Pas de bellâtre dont le principal but est d'attirer la gent féminine. Robert Downey Jr. a plus de 40 ans, mesure 1m70 et n'a pas vraiment le physique de l'emploi. Ce qui le rend infiniment plus attachant que ses compatriotes (Tobey McGuire, Christopher Reeves et consorts). Le jeu de l'interprète joue évidemment en sa faveur, et rapporte à Downey Jr. l'award mérité du Meilleur Acteur.

3. Iron Man est dépourvu d'une histoire d'amour.

Encore une fois, ça peut sembler difficile à croire. En général, la romance entre le héros et sa demoiselle en détresse est LE point clé des films de super-héros. On ne connaît pas Spiderman sans sa Mary-Jane, ni Superman sans sa Lois. Et pourtant... Pas de relation amoureuse dans Iron Man. Tony Stark met tout un tas de jolies nanas dans son lit, mais les abandonne le lendemain matin. Le personnage féminin existe bien, certes, en la personne de Pepper Potts (Gwyneth Paltrow), l'assistante personnelle de Stark. Mais Pepper n'a strictement rien à voir avec ses consœurs, elle non plus. Elle n'a rien de la demoiselle en détresse qui pleure et hurle et que le héros doit sauver. 

Pepper est un personnage extrêmement original et complexe. Sa relation avec son patron est faite d'amitié, de confiance,  de rires (parfois), d'exaspération (souvent), mais pas d'amour. On attend (ou on craint) la romance, le classique baiser au clair de lune, mais il ne viendra pas. Et ça, c'est tellement rafraîchissant... Je tire mon chapeau à Jon Favreau pour avoir osé supprimer la romance de son blockbuster. Beaucoup ont déploré l'absence d'une relation amoureuse ; pour ma part, je considère que c'est quasi-révolutionnaire, tant on a systématiquement droit au schéma "Ooh, je t'aime, moi aussi je t'aime". Et pas que dans les films de super-héros. Bravo, Jon. 

4. Iron Man mise sur le réalisme.
 
Le réalisateur a manifestement désiré créer un film le plus réaliste possible, un film auquel on croit. Il a volontairement ancré son film dans une réalité très actuelle. Là où le comic de 1963 montrait un Tony Stark blessé et capturé dans un Vietnam déchiré par la guerre, Favreau place l'action en Afghanistan, et remplace le méchant asiatique communiste par un groupuscule terroriste tendance Al-Qaida. Le film est agrémenté de nombreux extraits de journaux télévisés, de magazines existant réellement, de citations de marques réelles, d'une vidéo de Tony pris en otage qui ressemble exactement à celles qu'on peut voir à la télévision. Le cadre spatio-temporel est précis, jusqu'au jour et à l'heure près. 

Mais surtout, le réalisme du film provient de l'usage fait de la technologie. Étant donné que Tony/Iron Man est un homme normal dont les seuls "pouvoirs" sont conférés par son armure high-tech, il était essentiel que la technologie utilisée soit crédible. Et elle l'est. On assiste à la fabrication de l'armure et du Arc Reactor point par point, et on a l'impression qu'il est tout à fait plausible de créer de tels objets dans la réalité (alors que, à ce que je sache, nos ingénieurs ne sont pas près d'inventer une technologie aussi efficace - mais on y croit dur comme fer !). 

Iron Man nous plonge dans un monde d'hologrammes interactifs, de robots dirigés par la voix humaine, de personnages virtuels tels que l'intelligence artificielle nommée JARVIS (dont la voix est celle, so british, de Paul Bettany) qui sert d'interlocuteur sarcastique à Tony lorsque ce dernier travaille dans son atelier. On en vient à se passionner pour sa façon de bidouiller, souder, scier, tripoter LEDs et accélérateurs de particules d'une main de maître - et pourtant, je suis loin de m'intéresser à ce genre de technologie... À ma connaissance, Iron Man est le seul film de super-héros totalement dépourvu d'éléments fantastiques.

5. Iron Man est un "film d'origines".
 
Que signifie ? Généralement, les films de super-héros sont des films d'action, dans lesquels on nous présente un personnage déjà actif, déjà habitué à son statut à part, qui va vitre diverses super-aventures. Or, lorsque le film s'ouvre sur Stark, il n'est pas encore le Iron Man du titre. Il faudra attendre une heure avant qu'il revête pour la première fois son armure. Pendant cette heure, on assiste à son évolution, à la fabrication de son armure pendant sa captivité, à son perfectionnement une fois rentré aux États-Unis. Le film s'attache davantage à expliquer pourquoi et comment Tony devient Iron Man que de montrer ce dernier en action...

De fait, au fond, on voit rarement Tony Stark dans son armure. Le temps total pendant lequel Tony "est" Iron Man ne doit pas dépasser les 20 minutes... Le coup de force de Jon Favreau est de créer un personnage si intéressant que le spectateur préfère presque le voir en tant que Tony Stark plutôt qu'en tant qu'Iron Man. Une première dans un film de super-héros. Jusqu'à présent, personne ne s'intéressait à la vie de Bruce Wayne hors de son costume de Batman, ni à celle de Peter Parker sans sa combinaison de Spiderman. L'intérêt de ces héros consistait uniquement dans leurs super-pouvoirs. En revanche, Favreau pourrait bien tourner un Iron Man entier sans montrer une seule fois Tony enfiler son armure, le film resterait tout aussi passionnant. La complexité et l'ambivalence du personnage suffiraient à alimenter un excellent long-métrage. Si quelques fanas d'action ont regretté le manque de bagarre, la plupart ont apprécié le côté plus psychologique du film.

6. Le méchant n'est pas seulement un méchant.
 
Chaque super-héros a son adversaire, c'est bien connu. Chaque personnage combat sa Némésis, un super-méchant à la hauteur se ses pouvoirs hors du commun. En général, cet ennemi est désigné dès les premières minutes du film, et ne'évolue pas tellement au cours de l'action. 
L'ennemi de Tony Stark déroge à cette règle. Obadiah Stane, en effet, est à l'origine un très bon ami et associé de Tony, qui travaillait déjà avec le père de celui-ci avant que Tony ne prenne la direction de Stark Industries. Jovial et bon enfant, Obadiah bénéficie de la confiance totale de Stark, qui le considère presque comme une figure paternelle. Mais Stane cache bien son jeu, et à mesure que le film avance, on comprend que non seulement l'homme n'est pas si honnête qu'on le croit, mais que c'est lui en personne qui a commandité l'assassinat de Stark en Afghanistan... Cette révélation n'apparaît qu'à la fin du film, servant de déclencheur au duel final entre les deux personnages. Obadiah Stane subit autant que Tony une évolution radicale, et demeure, de très loin, le "méchant" le plus intéressant des comics Marvel.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce qui fait d'Iron Man un film si différent de ses congénères... Retenons aussi, évidemment, la prestation exceptionnelle des acteurs principaux. Robert Downey Jr. est parfait en milliardaire excentrique qui voit ses convictions s'écrouler, son jeu est d'un naturel désarmant. Jeff Bridges apparaît dans un rôle à l'opposé de ses personnages habituels, et nous livre un impressionnant Obadiah Stane froid et calculateur sous ses airs de bon copain. Terrence Howard est sobre mais efficace dans le rôle de James Rhodes, colonel dans la Air Force et ami de Tony Stark.

Mention spéciale enfin à Gwyneth Paltrow, qui interprète le seul personnage féminin du film, Pepper Potts... Je n'ai jamais aimé Gwyneth Paltrow, mais sa prestation me pousse à changer d'avis. Elle aussi est parfaite dans le rôle de cette femme loin de tous les clichés (ni super-woman, ni demoiselle en détresse, donc), qui tempère les excentricités de Tony et lui est d'une aide et d'une dévotion précieuses. 

Les personnages secondaires sont eux aussi suffisamment développés pour les rendre intéressants, que ce soit  Yinsen, le chirurgien captif qui sauve la vie de Tony en Afghanistan et qui l'aidera à construire son armure (l'excellent acteur iranien Shaun Toub) ou le chef des terroristes, Raza (Faran Tahir). Notons la présence de Jon Favreau lui-même, qui joue Happy Hogan, le chauffeur de Tony - avec ce petit rôle, le réalisateur prouve qu'il est également doué pour la comédie.

Le film est en outre dynamisé par un montage énergique et intelligent, des ambiances travaillées (depuis les cavernes afghanes jusqu'à l'atelier futuriste où travaille Stark) et une bande originale mélangeant musique de film "traditionnelle" et morceaux contemporains choisis avec soin - dont le célèbre et très approprié Highway to Hell en ouverture du film, alors qu'on voit le convoi de jeeps s'enfoncer dans les montagnes d'Afghanistan... C'est en effet exactement en enfer que se rend sans le savoir le héros.

Un film unique en son genre par bien des points, loin de toutes vos idées reçues sur les super-héros. Scénario à rebondissements, casting impeccable, personnages développés à merveille... Iron Man vous fera oublier tous les autres -Man qui existent. What else ?

10 novembre 2010

Sherlock Holmes


Titre original : Sherlock Holmes
Réalisateur : Guy Ritchie
Avec : Robert Downey Jr., Jude Law, Rachel McAdams, Mark Strong...
Date de sortie : 2009
Pays : USA
Note : ♥♥♥♥ 

"Holmes ! Does your depravity know no bounds ?"

J'avais découvert les romans de Conan Doyle toute jeune, lorsque mon père me les lisait avant de me coucher, et je n'y avais pas touché depuis. Sherlock Holmes, personnage pourtant mythique s'il en est et adapté de multiples fois sur grand écran, m'était donc relativement méconnu - si l'on exclut un ou deux téléfilms qui ne m'ont pas du tout laissé un souvenir impérissable. Aussi, je ne sais pas trop à quoi m'attendre de la part de ce film, dont j'avais eu des critiques contradictoires...

Ici, Sherlock Holmes (Robert Downey Jr.) et son fidèle associé John Watson (Jude Law) commencent par la fin, en résolvant une enquête dans les cinq premières minutes du film : ils parviennent enfin à arrêter le serial killer Lord Blackwood (Mark Strong), connu pour faire usage de magie noire. Alors que le criminel est condamné à la pendaison et que Watson est sur le point de déménager loin de Londres - et de Holmes -, le duo est informé que Blackwood est revenu d'entre les morts et poursuit ses meurtres sanglants à travers la ville... Watson reporte alors son départ pour tirer l'affaire au clair avec son ami à la logique implacable. Au même moment ressurgit dans la vie de Holmes une mystérieuse femme, Irene Adler (Rachel McAdams)...

J'ignore à quel degré le scénario est fidèle à l’œuvre de Doyle (il est fort possible que les scénaristes aient mixé un ensemble d'éléments piochés à droite et à gauche plutôt que d'adapter fidèlement l'une des aventures du détective) mais il est suffisamment bien construit pour maintenir le spectateur en haleine durant les deux heures que dure le film. Construit à la manière d'un thriller, il nous invite à résoudre l'enquête en même temps que les héros, jusqu'à un final qui, sans être extraordinaire, reste tout à fait crédible.

La qualité du film ne réside cependant pas dans son intrigue somme toute assez classique, mais plutôt dans ses deux personnages principaux, qui crèvent l'écran, portés par deux acteurs au meilleur de leur jeu. À la fois opposés et complémentaires, ils ne cessent de se chamailler tout en étant inséparables. Chacun de leurs dialogues est un délice, les deux personnages possédant un sens de l'humour et de la répartie grandiose. 

Jude Law interprète à merveille un Watson pince-sans-rire, faussement coincé et continuellement exaspéré par les frasques de son associé. Robert Downey Jr. (qui a adopté avec succès l'accent anglais pour l'occasion), lui, est parfait dans le rôle d'un Sherlock Holmes alcoolique, excentrique, bordélique mais redoutablement efficace lorsqu'il s'agit de déductions et de logique. Le rôle a valu à Downey Jr. un Golden Globe amplement mérité. Sans aucun doute, ce sont les deux héros qui font le charme du film. 

Certains amateurs de l’œuvre de Doyle ont certes déploré l'impasse faite par le cinéaste sur le sous-entendu homosexuel qui relie Holmes et Watson dans les romans - je ne peux pas en juger, n'ayant pas lu les livres, mais je trouve leur relation suffisamment intéressante et complexe sans y ajouter de tension sexuelle. Ici, c'est Irene Adler qui fait office de vamp sulfureuse et insaisissable, alors que Kelly Reilly interprète la fiancée sage et rangée de Watson. J'ai cependant apprécié le fait que le film ne tombe jamais dans la solution facile de la romance entre Holmes et Irene - leur relation est infiniment plus complexe et jamais cliché.

Autre point fort du film : la musique. Plutôt que l'habituelle et attendue musique typique du film d'action, Guy Ritchie choisit de donner à la bande originale une tonalité de musique folklorique irlandaise, qui convient à merveille à l'ambiance du Londres de début de siècle. Déroutante an début, la musique ajoute ensuite une touche originale au film. Les décors sont également splendides, nous dévoilant les bas-fonds crasseux d'un Angleterre victorienne. Les costumes sont tout aussi soignés, des riches robes portées par Irene Adler aux vestes usées et râpées de Sherlock Holmes.

Une fois n'est pas coutume, j'ai aussi beaucoup apprécié les scènes de combat du film. Encore une fois, le jeu de Robert Downey Jr. y est pour beaucoup. Loin d'être un Action-Man redoutable, héros valeureux qui maîtrise ses ennemis les mains dans les poches, Holmes utilise une technique de combat à mains nues plus absurde que dangereuse, se défendant comme il peut, à coups de petites claques sur le nez plutôt que grâce aux habituels coups de poing. Les scènes de combat deviennent ainsi drôles et décalées, sans jamais être ridicules.

Sherlock Holmes offre ainsi un très bon divertissement, qui, sans être pourvu d'un scénario mémorable, permet à ses deux comédiens de s'en donner à cœur joie et de nous livrer une interprétation jamais vue du célèbre duo d'enquêteurs, ajoutant une dimension comique au film. À voir !

Note : le succès du film aidant et Hollywood étant friand de suites, un second volet est prévu pour 2012.

17 octobre 2010

Faux-Semblants


 Titre original : Dead Ringers
Réalisateur : David Cronenberg
Avec : Jeremy Irons, Geneviève Bujold, Heidi Von Palleske, Stephen Lack...
Date de sortie : 1988
Pays : Canada
Note : ♥♥♥♥♥

"There's nothing the matter with the instrument...
It's the body. The woman's body is all wrong !" 

Faux-Semblants est l'un des films moins connus du célèbre cinéaste David Cronenberg, à qui on doit notamment La Mouche, Videodrome ou plus récemment A History of Violence ou Les Promesses de l'Ombre. Le film est basé sur le roman de Bari Wood et Jack Geasland, intitulé Twins ("Jumeaux") (lui-même vaguement inspiré d'un étrange fait réel) et a obtenu de nombreuses récompenses, dont 8 prix du Meilleur scénario.

L'histoire : Beverly et Elliot Mantle (tous deux joués par un seul et même acteur, Jeremy Irons) sont des jumeaux qui se ressemblent comme deux gouttes d'eau. Ils sont tous deux gynécologues renommés et partagent tout : appartement, métier, cabinet, passions, amis... et femmes. Elliot, sûr de lui et extraverti, séduit les femmes et, lorsqu'il s'en lasse, son frère, plus timide et passif, prend la relève sans que celles-ci ne se rendent compte de la substitution.

Leur vie de complicité et de duperies se déroule parfaitement bien jusqu'au jour où Beverly tombe éperdument amoureux de la dernière conquête d'Elliot, l'actrice française Claire Niveau (Geneviève Bujold). Cette relation va perturber l'équilibre entre les deux jumeaux, et tous deux vont entamer ensemble une terrible descente aux enfers, mûs par une folie destructrice...

Comme dans bon nombre de ses films, Cronenberg développe dans Faux-Semblants l'une de ses obsessions récurrentes : la mutation génétique, la terreur organique, les déformations physiques et mentales. En effet, de Videodrome à Naked Lunch en passant par eXistenZ ou Scanners, on retrouve systématiquement chez le cinéaste une fascination malsaine pour l'organique, la chair, les mutations. Le générique de début de Faux-Semblants annonce la couleur : on y voit une série de gravures anciennes, représentant tout un échantillon de "freaks", bébés siamois, enfants malformés en bocaux, etc.

Cronenberg lui-même disait : "Un réalisateur doit trouver des représentations physiques pour exprimer des formes d'esprit intérieures"... Faux-Semblants est peut-être le film le plus représentatif de cette affirmation, dans le sens où le réalisateur cherche perpétuellement à traduire le lien très fort entre les deux jumeaux par des images physiques. Ainsi, dans un cauchemar, Beverly Mantle rêve qu'il est relié à son frère par une sorte de cordon ombilical monstrueux et gigantesque - cordon que Claire Niveau, allongée entre les deux hommes, finira par déchirer avec les dents, affirmant qu'elle va les séparer une fois pour toute...

Dans la même idée, la descente aux enfers de Beverly (initialement déclenchée par la certitude - fausse - que Claire le trompe avec son assistant) est illustrée à l'écran par des procédés aussi bien scénaristiques que visuels. Beverly, en proie à une dépression accompagnée d'une dépendance à la drogue, commence à avoir des hallucinations, et est persuadé que les femmes qu'il traite sont victimes de mutations génitales. Il se tourne alors vers un sculpteur pour créer une série d'instruments chirurgicaux dessinés par ses soins, afin d'opérer ces femmes-mutantes imaginaires. Ces outils métalliques, aussi beaux qu'effrayants - "l'évidence d'un esprit perturbé", affirmera un collègue de Beverly après que celui-ci les ait réellement utilisés en salle d'opération - vont finir par causer la destruction des deux jumeaux dans des circonstances atroces.

En outre d'un scénario impeccable et d'une imagerie personnelle et fascinante, le film bénéficie d'un casting remarquable ; en tête, évidemment, l'excellent Jeremy Irons, dans le rôle de Beverly et Elliot Mantle. Une double prestation qui donne lieu à tout un tas de trucages afin de faire croire à la présence simultanée des deux jumeaux à l'écran, et un choix intéressant de la part de Cronenberg, qui souligne le lien physique et mental très fort entre les deux hommes (beaucoup plus que s'il avait choisi de faire jouer de vrais jumeaux, soit deux personnes distinctes). Si, dans les premières scènes, on a parfois du mal à savoir qui est qui, on apprend très vite à connaître chacun des personnages et à les distinguer comme s'il s'agissait de deux acteurs différents. Jeremy Irons a été récompensé par de nombreux prix pour son interprétation.

Le choix de Geneviève Bujold dans le rôle de Claire Niveau a moins fait l'unanimité auprès des critiques et du public, mais je trouve au contraire qu'il est judicieux. Pour une fois, le personnage principal féminin, amour du héros, n'est pas jeune, ravissante et sexy... Bujold est vieillissante, a l'air fatiguée, pas spécialement belle ou attirante, et est loin de se comporter selon les "standards" des personnages féminins, épouses ou maîtresses, habituels.

Faux-Semblants est en outre servi par la grandiose musique du compositeur Howard Shore, qui accompagne tous les films de Cronenberg et que l'on connaît aussi (et surtout) pour la bande originale de la trilogie du Seigneur des Anneaux. Lui aussi a obtenu une récompense, "Meilleure bande originale" aux Genie Awards de 1988.

Faux-Semblants est un film aussi fascinant que terrifiant, que l'on peut considérer comme l'apogée des thématiques chères à David Cronenberg. Un scénario sans faute, des prestations d'acteurs mémorables... Entre drame et horreur, un film voir absolument !

16 octobre 2010

Well... I'm back !

Chers tous,

Je m'excuse pour l'absence, mais je suis très occupée et tenir ce blog quotidiennement commence à devenir difficile. Je vais essayer de relancer le rythme, promis !

Pour compenser mon absence ces derniers jours, je lance un petit supplément : chaque film aura désormais sa réplique, en VO bien entendu, que je choisirai de façon à ce qu'elle retranscrive le plus possible le film dont elle est extraite.

Voilà, à demain pour la reprise !

7 septembre 2010

Rosemary's Baby


Titre original : Rosemary's Baby
Réalisateur : Roman Polanski
Avec : Mia Farrow, John Cassavetes, Ruth Gordon, Sydney Blackmer...
Date de sortie : 1968
Pays : USA
Note : ♥♥♥♥♥

Un autre film avec la note maximale, aujourd'hui : Rosemary's Baby, thriller horrifique de Roman Polanski. Le film est fidèlement adapté du roman éponyme d'Ira Levin, écrit en 1967.

L'histoire : Rosemary (Mia Farrow) et Guy (John Cassevetes) Woodhouse forment un jeune couple qui emménage dans un nouvel appartement à New York. Lui est un acteur qui a du mal à percer, elle est femme au foyer et compte bien avoir des enfants. Les Woodhouse font la connaissance de Roman (Sidney Blackmer) et Minnie (Ruth Gordon) Castevet, leurs voisins de palier, vieux et excentriques, avec lesquels Guy se lie d'amitié... 

Bientôt, Rosemary tombe enceinte. Dès lors, les Castevet se montrent excessivement gentils et serviables à son égard, prennent Rosemary sous leur aile, et deviennent vite envahissants. Parallèlement, Guy a subitement un succès gigantesque dans sa carrière de comédien. La nuit, Rosemary entend des murmures étranges venant de chez ses voisins, comme s'ils se livraient à une cérémonie religieuse... Lentement, la jeune femme plonge dans un monde d'angoisse et de paranoïa, persuadée qu'on en veut à son futur bébé.

Avec Rosemary's Baby, Roman Polanski nous prouve encore une fois, après Répulsion, Le Couteau dans l'eau ou encore Cul-de-Sac, qu'il est maître dans l'art de mener le suspense et de semer la confusion chez le spectateur jusqu'à la dernière minute du film. Pendant deux heures, le spectateur est perpétuellement amené à douter : Rosemary est-elle réellement victime d'une improbable conspiration, ou bien est-elle simplement paranoïaque ? Les breuvages vitaminés que lui apporte gentiment la vieille Minnie Castevet sont-ils offerts de bon coeur, ou contiennent-ils quelque drogue ou herbe maléfique ? Les griffures que porte Rosemary à son réveil, un matin, ont-elles vraiment été causées par un mari un peu trop fougueux ?

Rosemary's Baby n'est pas un film d'horreur à proprement parler, mais Polanski sait faire peur à son public, et ce depuis les premières minutes du film. Quelques détails étranges, quelques plans inhabituels, une réplique lancée de façon déroutante... et l'angoisse monte chez le spectateur, avant même qu'elle n'apparaisse chez les personnages. Ainsi, par exemple, cette commode placée par l'ancienne locataire de l'appartement devant la porte d'un placard ; les personnages s'interrogent sans toutefois s'inquiéter, mais la musique et la nature du cadrage nous fait comprendre que quelque chose ne va pas. Ou encore lorsque, après un dîner chez les Castevet, Rosemary fait remarquer à Guy que les voisins ont retiré tous leurs tableaux des murs ; Guy en rit, pas nous. Ou bien ces rêves que fait Rosemary, qui n'ont à première vu rien d'effrayant mais qui nous terrorisent littéralement... 

Visuellement, Polanski utilise plusieurs procédés propres à générer la peur et l'empathie chez le spectateur, notamment la caméra quasi-subjective. Celle-ci suit le personnage de très près, de dos, comme si nous étions dans la scène, en train de marcher juste derrière Rosemary dans un quelconque couloir obscur - ah, Polanski et ses couloirs, ses interminables couloirs sombres et vides ! Le film ne comporte aucun plan d'ensemble (mis à part celui, vu d'hélicoptère, de la séquence d'ouverture) mais se concentre sur ses personnages, évoluant dans l'appartement, comme un huis-clos oppressant, tout en gros plans et en lents travellings.

Le casting, comme toujours chez Roman Polanski, est irréprochable. Mia Farrow est idéale en Rosemary, femme-enfant aux cheveux courts et au teint blafard, qui respire l'innocence et la candeur. John Cassevetes, à la fois attirant et machiavélique, correspond parfaitement au personnage de Guy Woodhouse, dont on ne sait s'il est un mari aimant ou un conspirateur maléfique. Le couple Castevet est également fort bien incarné par Ruth Gordon et Sidney Blackmer, septuagénaires souriants et sympathiques, et pourtant un rien malsains.

Mention spéciale à la bande sonore du film, qui lui apporte en grande partie son ambiance particulière. La première scène est mémorable notamment à cause de sa musique : on y voit un long plan aérien sur le futur appartement du jeune couple, avec le générique écrit en rose vif dans une belle écriture calligraphiée ; et en fond, une berceuse pour enfants, sans autres paroles que "la-la-la-la-la", chantée par Mia Farrow elle-même. Le séquence pourrait être anodine, elle devient angoissante. On entendra la même berceuse, associée au même plan, à la fin du film.

En dehors de cette mélodie lancinante, Rosemary's Baby est quasiment dépourvu de musique. En revanche, un soin tout particulier est apporté aux effets sonores. Toutes les séquences se déroulant dans la chambre de Rosemary et Guy, par exemple, sont uniquement rythmées par le tic-tac répétitif d'un réveil posé sur la table de chevet. Lorsque Rosemary rêve, on continue à entendre ce même tic-tac, sans aucun autre son ou musique parasite (sauf, bien sûr, les dialogues prononcés par les personnages, réels ou en rêve).

Rosemary's Baby est un film grandiose, au scénario impeccable et à la distribution remarquable, qui témoigne une fois de plus de la fascination malsaine de Polanski pour le satanisme et les sectes - le film fait directement écho à la tragédie qui marqua la vie du réalisateur, soit l'assassinat de sa femme Sharon Tate, enceinte de huit mois, un an après la sortie de Rosemary's Baby. Une œuvre mêlant horreur, suspense et fantastique, à ne pas manquer.

5 septembre 2010

Requiem for a Dream


Titre original : Requiem for a Dream
Réalisateur : Darren Aronofsky
Avec : Jared Leto, Jennifer Connelly, Ellen Burstyn, Marlon Wayans...
Date de sortie : 2000
Pays : USA
Note : ♥♥♥♥♥

Requiem for a Dream est le deuxième long-métrage (après le déroutant Pi, deux ans plus tôt) du jeune cinéaste Darren Aronofsky. Il s'agit d'une adaptation du roman du même nom de Hubert Selby Jr. (mal traduit en français par Retour à Brooklyn.), notamment connu pour son Last Exit to Brooklyn et ses personnages dépressifs et désespérés.

L'histoire est celle de quatre dépendances, vécues par les quatre personnages principaux. Harry Goldfarb (Jared Leto), sa copine Marion Silver (Jennifer Connelly) et son pote Tyrone (Marlon Wayans) se droguent à l'héroïne. et évoluent lentement mais sûrement du plaisir vers la contrainte. Parallèlement, la mère de Harry, Sara Goldfarb (Ellen Burstyn), apprend qu'elle est invitée sur le plateau de son émission de télé favorite, et se fait prescrire des pilules dans le but de perdre huit kilos et rentrer dans sa vieille robe rouge pour l'occasion. Les pilules s'avèrent être des amphétamines et Sara plonge elle aussi dans l'enfer de l'addiction...

Le film est construit sur le schéma de la descente aux enfers, progressive et inexorable. Dès le début, on sait que la situation des personnages ne va aller qu'en se dégradant, qu'il n'y a pas vraiment d'espoir et qu'il n'y aura pas de happy end. Pour illustrer ce propos, Requiem for a Dream est divisé en trois "chapitres" : Summer, Fall, Winter. L'état des quatre héros évolue avec les saisons, et pour eux, il n'y aura jamais de printemps. 

La transformation des personnages est saisissante. Au début, Harry, Marion et Tyrone sont des jeunes pleins de vie, d'amour, d'amitié, d'humour et de bonne santé. Leurs regards sont pétillants, leurs relations attendrissantes. Au fur et à mesure, leurs traits se creusent, leurs relations se dégradent, les disputes s'accumulent, leurs visages sont blafards. Le maquillage, chargé sans jamais être outrancier, contribue grandement à montrer cette dégradation progressive. Il en va de même pour la mère : au début, elle est une femme pleine de vitalité, avec quelques kilos en trop mais qui respire la joie de vivre. Puis elle se transforme en une sorte de zombie hagard, anorexique, les cheveux en pétard et les yeux rougis. Cette évolution physique va aller jusqu'au point de non-retour - que je ne dévoilerai pas ici, puisqu'il vous gâcherait le suspense.

Les acteurs du film mériteraient chacun un Oscar. Jared Leto prouve qu'il sait jouer autre chose que les ados bien proprets des teen movies auxquels il était habitués (voir la critique d'hier...) et livre une prestation aussi naturelle que touchante. Jennifer Connelly interprète elle aussi magistralement son rôle - pourtant difficile - de toxicomane prête à tout pour se payer son shoot quotidien. Marlon Wayans abandonne son sempiternel rôle de bouffon farceur qu'il partageait avec son frère et montre qu'il est capable de bien plus. Mention spéciale, enfin, à l'excellente Ellen Burstyn, dans un rôle qui restera dans les annales. Son interprétation de Sara, la mère fantasque qui s'enfonce dans la dépendance, est dure, émouvante, dérangeante.

Le film bénéficie de seconds rôles à la hauteur des interprètes principaux - notamment Sean Gullette, qu'Aronofsky avait déjà dirigé dans Pi, et qui joue le psychiatre pervers de Marion, ou Marcia Jean Kurtz, dans le rôle d'une des amies de Sara.

La photographie de Requiem for a Dream sert son scénario ; ainsi, les couleurs sont d'abord vives (herbe vert fluo, robe rouge, ciel bleu azur...) lorsque les personnages vont encore bien (dans le chapitre Summer), puis deviennent de plus en plus désaturées en parallèle avec la descente aux enfers de Harry et des autres. De même, les lieux choisis pour le tournage sont d'abord des parcs, des allées ensoleillées et des appartements accueillants, pour devenir des ruelles glauques, des restaurants grisâtres et des ambiances pluvieuses.

La particularité du film est l'utilisation particulière que fait Darren Aronofsky de la technique dite du "split screen" ("écran coupé/partagé"). La technique consiste à couper l'écran en deux (dans le sens de la longueur ou de la largeur) pour montrer une même action simultanément sous deux angles différents. Par exemple, Aronofsky montre en même temps les yeux de Sara Goldfarb étudiant ses boîtes de pilules, et un gros plan sur les pilules en question ; ou, lorsque Harry et Marion font l'amour, une partie de l'écran nous montre les mains de Harry sur le corps de Marion, et l'autre partie celles de Marion se promenant sur le corps de Harry.

L'autre effet visuel récurrent dans Requiem for a Dream (déjà utilisé dans Pi) est le montage très particulier des séquences de "shoot", lorsque les trois personnages s'injectent leur héroïne. Jamais on n'assiste à une scène de shoot à proprement parler. Le réalisateur choisit de les représenter par un montage très saccadé d'une succession d'images nous faisant comprendre ce qui se passe, tout en très gros plans : la poudre marron qui tombe dans la cuillère, le briquet qui s'allume, le piston de la seringue qui est poussé, la pupille qui rétrécit, et un soupir de contentement. 

Même chose pour Sara Goldfarb qui prend ses pilules : le "pop" de la boîte qui s'ouvre, la bouche qui s'ouvre, le verre d'eau pour avaler. Ce montage visuel et sonore est utilisé à chaque fois que les personnages prennent de la drogue, et devient un leitmotiv lancinant. Par moments, cet effet - la marque de fabrique d'Aronofsky - est utilisé simultanément avec le split screen - ainsi, on aura deux cuillères, deux briquets, deux seringues et deux yeux de couleur différentes en parallèle, lorsque Marion et Harry se shootent en même temps.

Requiem for a Dream est un film mémorable, dur, cru et très dérangeant, à déconseiller aux âmes sensibles. Un plaidoyer anti-drogue jamais complaisant, jamais attendu, toujours sincère et réaliste. À ne pas manquer !

4 septembre 2010

Urban Legend


Titre original : Urban Legend
Réalisateur : Jamie Blanks
Avec : Jared Leto, Alicia Witt, Rebecca Gayheart, Michael Rosenbaum...
Date de sortie : 1998
Pays : USA
Note :

Urban Legend fait partie de cette longue liste de "teen movies" (films pour ados) américains qui ont vu le jour dans les années 1990. Ce sont toujours des films d'horreur, les héros sont toujours lycéens ou étudiants, sortent toujours les uns avec les autres, se font décimer par un dangereux psychopathe... Et les films sont toujours très mauvais. Quelques exemples-type de ce genre de nanars : Souviens-toi... l'été dernier (avec la alors très en vogue Sarah Michelle Gellar), Scream, Halloween... et, donc, ce Urban Legend.

Le principe est simple : le scénario s'appuie, comme son nom l'indique, sur ces légendes urbaines horrifiques, dont nous avons tous déjà entendus parler (la baby-sitter qui tue les enfants, l'homme qui lèche la main de la petite fille à la place du chien...) et qui sont internationalement connues et transmises de génération en génération.

L'histoire se passe sur le campus d'une grande université américaine (décor idéal pour un teen movie !), sur lequel des étudiants disparaissent ou meurent dans des circonstances étranges. La candide Natalie (Alicia Witt) découvre que les étudiants sont tués sur le modèle de diverses légendes urbaines, mais personne ne croit à son hypothèse., Elle mène  alors l'enquête de son côté avec le beau Paul (Jared Leto), rédacteur du journal de l'université et fouineur hors pair. Pendant ce temps, les amis de Natalie sont assassinés un par un...

L'intrigue n'est pas excellente, ni d'une originalité folle, mais elle aurait suffi à construire un film correct. Le problème, c'est qu'en dehors de cette ébauche de scénario, il n'y a rien de correct dans le navet de Jamie Blanks... A commencer par le dénouement. Pour être surprenant, il l'est. Effectivement, le tueur n'est pas du tout celui qu'on suspectait - où qu'on était censés suspecter, grâce à des allusions grosses comme des maisons délicatement semées par le réalisateur pour nous induire en erreur. Mais la résolution de l'enquête et la découverte du qui, du pourquoi et du comment manque tellement de toute forme de crédibilité qu'on aurait préféré, au fond, ne jamais savoir. Frustrant, peut-être, mais pas aussi ridicule, absurde et invraisemblable que la fin qu'on nous sert... Fin qui ruine tout ce qu'il y avait de bon dans le scénario du film.

Ensuite, le majeur problème vient des acteurs et de leurs dialogues. Les jeunes comédiens sont tous lamentablement mauvais, récitent leurs (mauvaises) répliques comme s'ils les avaient appris par coeur, manquent totalement de naturel. Jared Leto est le seul à tirer son épingle du jeu, et ce malgré le rôle typique et attendu du "beau gosse" de l'histoire que les scénaristes lui ont attribué. Les autres sont tous plus affligeants les uns que les autres, et leurs personnages une accumulation de clichés (le gars farceur, le beau gars qui fait tomber toutes les filles à ses pieds, la blonde pulpeuse et vulgaire aux gros seins et à la petite cervelle, la brune gothique et renfermée...).

La mise en scène est d'une banalité extrême, et manque cruellement d'imagination. Comme dans tout film d'horreur qui se respecte, le réalisateur tient à nous faire sursauter un certain nombre de fois ; mais l'enchaînement des plans est tellement vu et revu qu'on s'attend à chaque fois à l'horreur qui va surgir, si bien qu'au final, on ne sursaute pas du tout. La photographie du film est elle aussi terriblement ordinaire, et les plans sont dépourvus de toute esthétique ou recherche visuelle - comme si le réalisateur avait posé sa caméra au hasard, du moment qu'elle cadrait l'action.

Vraiment rien à récupérer, donc, si ce n'est une petite partie de l'intrigue (qui aurait dû être développée de façon radicalement différente) et l'interprétation de Jared Leto, qui, sans être mémorable, contraste avec celles, pitoyables, des autres comédiens. Film à éviter, qui plaira peut-être aux ados d'une douzaine d'années (et encore)...

3 septembre 2010

Innocents


Titre original : The Dreamers
Réalisateur : Bernardo Bertolucci
Avec : Eva Green, Louis Garrel, Michael Pitt, Robin Renucci...
Date de sortie : 2003
Pays : France, USA, Italie
Note : ♥♥♥♥♥

Innocents (titre, comme souvent, très mal traduit) est un film adapté du roman de Gilbert Adair, réalisé par le cinéaste Bernardo Bertolluci (connu pour son Dernier Tango à Paris, qui fit scandale à sa sortie en 1972, son Novecento - 1900 en 1976 ou son Dernier Empereur en 1987).

L'intrigue du film se déroule à Paris, en 1968, juste avant les grands chamboulements du mois de mai. Isabelle (Eva Green) et Théo (Louis Garrel) ont 19 ans, ils sont jumeaux et vivent avec leurs parents dans un immense et luxueux appartement. Lors d'une manifestation à la Cinémathèque Française, ils font la connaissance de Matthew (Michael Pitt), un Américain de leur âge venu passer un an d'études France. Liés par leur amour du cinéma, ils sympathisent avec lui et l'invitent à loger dans leur appartement, désertés par les parents partis en vacances.

Entre les quatre murs de l'appartement, Matthew va entrer dans l'intimité trouble des jumeaux. Isabelle et Théo dorment nus dans le même lit, serrés l'un contre l'autre. Prétendent qu'ils s'aiment et ne se sépareront jamais. Jouent à un jeu consistant à mimer des scènes de films connus, et à en faire deviner le titre à l'autre.  Vivent totalement à l'écart du monde extérieur et de la révolte qui gronde. L'Américain, candide et peu expérimenté, sera peu à peu entraîné dans le monde infantile, naïf et auto-destructeur des jumeaux, et par la même occasion dans un étrange ménage à trois... Au bout du compte, les trois "rêveurs" finiront pas être rattrapés par la réalité, et leur vie changera pour toujours.

Comme l'avait fait Le Dernier Tango à Paris à l'époque, Innocents a choqué à sa sortie, pourtant très récente. Bertolucci ne cherche pas à échapper à la censure, montrant de façon très voyeuriste ce qui se trame dans l'appartement - les ébats d'Isabelle et de Matthew, leurs ébats à trois, la nudité frontale dans de nombreuses scènes. Le cinéaste inclut totalement le spectateur dans le huis-clos de l'appartement, nous permettant d'assister à l'intégralité de ce que vivent les jumeaux et leur invité, coupés du monde, perdus dans leur jeux et leurs rêves. Isabelle et Théo entraînent leur ami dans leurs jeux pervers et sexuels, que l'on découvre parallèlement à ce dernier.

Les trois acteurs principaux sont saisissants de crédibilité et de naturel. Eva Green et Louis Garrel parviennent à rendre évidente la relation malsaine et complexe qu'ont développée les deux jumeaux entre eux. Michael Pitt (dont le rôle devait d'abord être interprété par Leonardo DiCaprio !) joue à la perfection son rôle de touriste candide et mal à l'aise dans l'univers sensuel et enfantin dans lequel il est entraîné malgré lui, entre amour, fascination et dégoût. Le film a été tourné en français et en anglais, ajoutant au réalisme et permettant de marquer la barrière qui sépare les jumeaux (qui parlent français entre eux) et Matthew - avec lequel ils s'expriment en anglais. Matthew ne comprend pas le français, et est ainsi exclus des discussions trop intimes entre les jumeaux.

La photographie, comme toujours chez Bernardo Bertolucci, est impeccablement travaillée, et chaque plan du film pourrait être pris à part et analysé pendant des heures, pour ses qualités esthétiques et narratives. La bande originale, magistrale, mélange des artistes des années 60 (Janis Joplin, Jimmi Hendrix...), de la chanson française (Édith Piaf, Françoise Hardy...) et des musiques des vieux films que le trio affectionne tant.

À la manière d'un Tarantino, Bertolucci manifeste son amour du cinéma à travers de très nombreux hommages et références plus ou moins explicites : lorsque les jumeaux jouent à leur jeu de "Devine quel film je mime", il mélange les images d'Isabelle ou Théo à celles, authentiques, tirées du film qu'ils essayent de reproduire. On retrouve ainsi Eva Green imitant Greta Garbo dans La Reine Christine ou Jean Seberg dans À Bout de Souffle, et Théo mimant Paul Muni dans Scarface.

Le réalisateur inclut également des vrais extraits de film lorsque les personnages parlent desdits films (ainsi Les Lumières de la Ville ou Freaks), ou lorsque Isabelle, Théo et Matthew parcourent le musée du Louvre en courant, essayant de vaincre le record de 9 minutes et 43 secondes du film Bande à Part, où les trois protagonistes faisaient la même chose... Les spectateurs cinéphiles prendront donc plaisir à tenter d'identifier les innombrables références visuelles, sonores (extraits de musique de films) ou basées sur les dialogues (à l'image de la scène où les jumeaux scandent "We  accept him, one of us !" phrase répétée dans le film Freaks à plusieurs reprises) faites aux films des années 20 à 50.

Un excellent film, que ce soit au niveau du casting, de la photographie, du scénario ou de la réalisation. À voir pour tous les passionnés de cinéma, et tous les autres.

2 septembre 2010

Le Bruit des Glaçons


Réalisateur : Bertrand Blier
Avec : Jean Dujardin, Albert Dupontel, Anne Alvaro, Myriam Boyer...
Date de sortie : 2010
Pays : France
Note : ♥♥♥

De Bertrand Blier, je connaissais surtout les quelques films - devenus cultes - du début de sa carrière dans les années 70, dont Les Valseuses ou Buffet Froid. Récemment, le réalisateur avait écrit plusieurs comédies françaises mineures, comme Pédale Dure ou Combien tu m'aimes. Son nouveau film, Le Bruit des Glaçons, n'était donc pas le film que je tenais absolument à voir.

D'autant plus que l'affiche ne joue pas en sa faveur. Fond blanc, têtes d'acteurs connues, typographie fluo... La présence de Jean Dujardin parachève le tableau : on croit à une gentille comédie franchouillarde, pas trop mauvaise, pas très bonne non plus. Dujardin n'ayant que des rôles comiques à son actif - si l'on exclut le rôle mi-sérieux du publicitaire cocaïnomane de 99 Francs - j'avais du mal à imaginer autre chose qu'une énième comédie romantico-dramatique, banale et déjà vue.

Malgré tout, c'est un Blier. Donc je me décide à aller le voir.

J'ai été très agréablement surprise. Le film est à mille lieues de ce à quoi je m'attendais, à commencer par un Jean Dujardin aux antipodes de ses rôles habituels. Cette fois, il est Charles Faulque, un écrivain célèbre qui est devenu lourdement alcoolique depuis que sa femme l'a quitté avec son fils, huit ans plus tôt. Dujardin a la démarche traînante et instable, une vieille veste en laine râpée, la bouteille de blanc toujours à portée de main (dans son seau à glace, d'où le fameux bruit des glaçons qui l'accompagne partout) et un caractère dépressif, voire suicidaire. Et ça lui réussit. Son personnage est convaincant du début à la fin.

Mais qu'arrive-t-il donc à Charles Faulque ? L'intrigue tient en deux lignes : un beau jour, alors qu'il vit reclus dans sa villa du Sud de la France, on sonne à la porte. Qui est-ce ? 

Son cancer.

Oui, voilà le point de départ (plutôt gonflé) du nouveau film de Blier. Le cancer du cerveau de Faulque, personnifié sous les traits d'Albert Dupontel, débarque dans la vie de l'écrivain. Et s'y installe. S'en suit une cohabitation forcée, que Faulque commence par rejeter, puis finit par accepter, et même réclamer... Difficile d'en raconter davantage sans dévoiler une partie du film. Les péripéties se multiplient, les retournements de situation aussi. Blier parvient à installer un vrai suspense, qu'il maintient habilement jusqu'aux dernières minutes du film.

Comme toujours chez Bertrand Blier, les dialogues, très nombreux, sont magistralement bien écrits. Malgré le sujet pourtant difficile, l'humour est omniprésent - un humour cynique, grinçant, qui fait la réussite du film. Il fallait oser, pourtant. Par moments, on se demande jusqu'à quel point on peut rire de tout. Volontairement provocateur, Blier n'hésite pas à multiplier les répliques que certains trouveront franchement dérangeantes. Je me suis demandé plusieurs fois comment réagissaient les spectateurs qui avaient eu un cancer, ou qui y avaient été confrontés de près. Pas sûre qu'ils en rient.

Personnellement, je suis d'avis qu'il est possible de rire de tout, sauf lorsque l'humour vire au mauvais goût. Mais ce n'est jamais le cas chez Blier. On rit de bon cœur, donc, pendant une grande partie du film. Les moments les plus tragiques sont systématiquement dédramatisés par une réplique acide, ou une remarque cynique lancée par le cancer. Le cinéaste porte un regard tout à fait nouveau sur un thème déjà vu et revu (la maladie, la réaction des proches, etc.) ; Le Bruit des Glaçons devient ainsi un film unique, inclassable.

Côté casting, les acteurs sont tous choisis à la perfection. Dujardin s'accomode parfaitement de ce changement de registre et parvient à mettre son talent comique au service d'un genre radicalement différent. Dupontel, le cancer, est extrêmement drôle. Mention spéciale à l'actrice Anne Alvaro, qui interprète la domestique de Faulque, Louisa, une femme a priori coincée et timide mais qui se révélera être bien plus... Les seconds rôles sont impeccables, depuis la candide Christa Theret (la jeune immigrée russe qui fait office de prostituée à plein temps à la villa de Faulque) à l'angélique Émile Berling, qui joue le rôle du fils adolescent de l'écrivain.

La bande originale du film contribue à sa qualité et à son originalité inattendue, avec des artistes aussi variés que Brel, Nina Simone, Leonard Cohen ou Gustav Mahler. Le décor qui abrite 99% de ce quasi-huis clos, une immense villa avec piscine perdue dans la campagne de Provence, est photographié et mis en valeur avec soin. Blier en exploite tous les recoins, à tel point que la maison devient presque un personnage à part entière.

Un film inattendu, provoquant, drôle et culotté, à voir pour ses brillants dialogues et l'excellente prestation de ses comédiens.

1 septembre 2010

Sid & Nancy


Titre original : Sid & Nancy
Réalisateur : Alex Cox
Avec : Gary Oldman, Chloe Webb, David Hayman, Andrew Schofield...
Date de sortie : 1986
Pays : Angleterre
Note : ♥♥♥

Aujourd'hui, on plonge dans le Londres du milieu des années 70 : vestes en cuir cloutées, maquillage outrancier et crêtes vertes sur la tête. Plus précisément dans la vie ô combien tourmentée du bassiste du groupe punk The Sex Pistols, Sid Vicious...

Le film, loin d'être une biographie exhaustive de Sid, se concentre essentiellement sur l'histoire d'amour destructrice qu'il a vécue avec Nancy Spungen, prostituée et toxicomane de 18 ans tout droit venue des États-Unis. Le réalisateur ne s'intéresse que très modérément aux Sex Pistols, préférant suivre Sid dans sa vie privée, et dans la déchéance qui finira par le tuer.

On a rarement vu un film aussi sombre, aussi désespérément pessimiste. Le film est à l'image du mouvement punk dont il traite : "No future" pour ces deux-là, se dit-on on le voyant. No future pour Sid (Gary Oldman) et Nancy (Chloe Webb), qui tombent progressivement dans une dépendance totale à l'héroïne, ne vivent plus que pour leur shoot quotidien, passent leur temps à se hurler dessus puis à pleurer dans les bras l'un de l'autre, complètement à plat. L'atmosphère du film est volontairement glauque, oppressante, violente ; chambres d'hôtel sordides au possible, concerts où l'on se crache de la bière à la figure, voitures allègrement défoncées par une bande de punks ivres, taudis envahi par des camés amorphes vautrés sur les canapés sales, concours de pets et de rots...

Pas de place pour la beauté, la nature, les scènes douces. La vie de Sid et Nancy a été une succession de malheurs, de désillusions, d'échecs. La drogue a mis fin au groupe de Sid Vicious, à ses amitiés, à son amour et finalement, peu après, à sa vie.

Le réalisateur veut visiblement coller au plus proche de la réalité : les costumes, les attitudes, les looks respectent assidûment toutes les vraies images et vidéos que l'on a de Sid et de Nancy. Certaines scènes sont pareilles à des reconstitutions, où chaque geste, chaque mot est calqué sur la réalité, sur les vraies archives de Sid Vicious. Cependant - et on peut se demander pourquoi -, il choisit de conclure son film sur des faits non avérés, voire inventés...

En effet, Sid & Nancy se conclut sur la mort non pas de Sid, mais de Nancy Spungen. Les faits officiels, en 1978, étaient les suivants : Sid et Nancy logeaient au Chelsea Hotel à New York, et avaient passé la soirée complètement défoncés. Le lendemain, Nancy, qui avait alors 20 ans, est retrouvée morte sur le sol de la salle de bains, poignardée à l'abdomen et vidée de son sang... On retrouve l'arme du crime : un couteau appartenant à... Sid Vicious. Cependant, la police n'a jamais pu établir ce qui s'était passé : on n'a aucune preuve que Sid soit responsable de la mort. Certains émettent l'hypothèse d'un règlement de comptes entre junkies, qui s'est déroulé dans la nuit et auquel Sid n'a pas assisté, endormi dans le lit... Sid est relâché sous caution quelques temps plus tard.

Alex Cox, lui, nous montre la scène telle qu'il se l'imagine : dans le film, Sid et Nancy de disputent violemment. Exaspéré par les hurlements hystériques de Nancy, Sid finit par se saisir de son couteau ; Nancy se jette sur lui, et Sid la poignarde, plus par accident que par préméditation. Sid s'endort ensuite, laissant Nancy agoniser dans la salle de bains...

Cette version des faits est une possibilité, mais certainement pas une certitude. Sans soute le cinéaste ne voulait-il pas terminer son film sur une interrogation, une incertitude... Étrangement, il évince totalement la mort de Sid Vicious, quelques mois plus tard. Sid meurt d'une overdose d'héroïne. Il avait 22 ans. Non, ici, on a droit à une dernière scène onirique, sans aucun doute la plus optimiste, la plus belle, la plus sereine du film : Sid, en pleine hallucination, imagine que Nancy vient le rejoindre. Ils montent ensemble dans un taxi, qui s'en va vers l'horizon... Une métaphore soulignant le fait que Sid rejoint Nancy dans la mort ? Sans doute. La vérité, elle, est affichée sur fond noir, juste avant le générique : "Sid Vicious died of a heroin overdose in 1978".

Côté casting, mes sentiments sont partagés. Rien à dire, le tout jeune Gary Oldman est parfait dans le rôle de Sid Vicious, tant dans l'apparence que dans le jeu d'acteur. Il en fait des tonnes, pousse le personnage à l'extrême, mais on y croit. Surtout quand on sait que non, ce n'est pas exagéré, le vrai Sid se comportait bel et bien de la même manière. Démarche chancelante d'homme ivre, accent Cockney à couper au couteau, coiffure en pétard et garde-robe destroy à souhait... On y croit.

L'actrice qui joue Nancy Spungen, en revanche, convainc beaucoup moins. Raison principale : son âge... Chloe Webb avait 30 ans lorsque le film a été tourné. Or, Nancy est censée en avoir 18 au début, et 20 à la fin... Non seulement Webb a dix ans de plus, mais en plus, elle ne fait vraiment, vraiment pas fraîche. La vraie Nancy, malgré son maquillage baveux et ses yeux rouges, restait relativement pétillante et jolie. Chloe Webb, elle, ressemble à s'y méprendre à un travesti quinquagénaire... Comme si ce physique ingrat ne suffisait pas, elle a une gouaille presque insupportable. Lorsqu'elle crie, on en attrape des migraines. Malgré tout, si on fait abstraction de la ressemblance physique et de la cohérence par rapport à l'âge, sa prestation en elle-même est bonne. Comme Gary Oldman, elle a su parfaitement s'approprier son personnage, vulgaire, capricieuse et lunatique.

Le reste du casting, même si peu présent, est bien choisi. L'acteur qui joue le rôle de Johnny Rotten, le chanteur des Sex Pistols, n'est absolument pas ressemblant mais néanmoins admirable.

Un film sombre et dur, donc, qui nous livre une vision noire et déprimante du Londres des années 70. En plus de l'histoire de Sid Vicious, on y apprend le mode de vie bien particulier des outsiders de l'époque... Une plongée fascinante dans le monde du mouvement punk anglais, pas si loin de A Clockwork Orange. Indispensable pour les fans de Sid Vicious, intéressant pour tous les autres.

15 août 2010

Avis à tous !

Chers amis, ô my droogies,

Je prends quelques petites vacances jusqu'au 30 août inclus. Je ne pense pas que j'aurai Internet là où je vais, du coup, je ne suis pas sûre de pouvoir poster ma critique quotidienne... On se retrouve donc début septembre !

À bientôt, bonnes vacances à ceux qui en ont ! (et... regardez des films !).

Orange Mécanique


Titre original : A Clockwork Orange
Réalisateur : Stanley Kubrick
Avec : Malcolm McDowell, Patrick Magee, Warren Clarke, Aubrey Morris...
Date de sortie : 1971
Pays : Angleterre
Note : ♥♥♥♥

Il est très difficile de classer Orange Mécanique dans une catégorie. Mi-thriller, mi-drame, mi-comédie, mi-satire sociale, le film est un ovni inclassable...

Il s'agit d'une adaptation du roman du même nom d'Anthony Burgess, paru en 1962 au Royaume-Uni. Le texte figurant sur l'affiche anglaise du film (voir ci-dessus) résume assez bien l'histoire : Alex (Malcolm McDowell) est un jeune homme (il avait 16 ans dans le roman, et a 26 ans chez Kubrick) amoral et violent, qui vole, viole et tue rien que pour le plaisir, dans une Angleterre vaguement futuriste. Accompagné de ses trois "droogs" (comprenez complices, dans le langage unique utilisé par Alex !), il occupe ses nuits à terroriser la population où à tabasser les membres de gangs rivaux, avant de terminer la soirée au Korova Milkbar, où lui et ses acolytes boivent du lait mélangé à des drogues.

Un jour, il est arrêté par la police et mis en prison. On lui propose d'expérimenter un tout nouveau traitement, le traitement Ludovico, qui vise à guérir un individu de toute envie de violence ou de méchanceté. Dans l'espoir d'échapper à la prison, Alex accepte, et devient alors le cobaye d'une équipe de médecins décidés à faire de lui un homme pacifique et incapable d'user de violence...

Le film a une structure symétrique, divisé en trois parties. La première nous montre un Alex méchant et fier de l'être, capable des pires atrocités. La seconde, la partie centrale et le tournant de l'histoire, nous montre le séjour d'Alex en prison puis le traitement Ludovico. La troisième, enfin, est le miroir de la première : nous suivons à nouveau Alex dans les rues de Londres, mais de coupable, il est devenu victime ; incapable de se montrer agressif ou violent, il est attaqué par toutes ses anciennes victimes, avides de vengeance...

Dans Orange Mécanique, Kubrick instaure un rapport particulier entre le spectateur et les personnages. Nous sommes constamment pris à témoin par Alex, qui s'adresse à nous directement ("Ô mes frères et seuls amis", dit-il) et nous pousse à épouser son point de vue, soit une vision très subjective des événements. Souvent, Alex tourne son regard vers la caméra, nous regarde droit dans les yeux, nous incluant littéralement dans la scène.

Parfois, le spectateur devient non seulement témoin mais voyeur - et c'est ça qui rend certaines séquences du film si dures à regarder. Par exemple, cette scène - devenue culte - où Alex et ses droogs s'introduisent dans la maison d'un écrivain et de sa femme, tabassent le premier et violent brutalement la seconde... Juste avant de passer à l'acte avec la femme, Alex (son pantalon déjà baissé et un gossier masque de Comedia dell'Arte sur le visage) s'agenouille devant la caméra, posée au sol, nous regarde et nous dit : "Viddy well, little brother. Viddy well." ( = "Regarde bien, petit frère. Regarde bien.") On nous pousse à assister à ce qu'on a pas envie de voir ; on ne nous laisse pas le choix, et cela rend la séquence très malsaine.

Le plus troublant dans le film, c'est sans doute le rapport qui, au final, résulte de cette confrontation spectateur/personnage. Parce que même si le jeune Alex est un anti-héros au comportement parfaitement abject et non excusable (il n'y a aucune motivation derrière ses actes, jamais)... on finit par s'y attacher, à effectivement se ranger de son côté, et à vraiment le plaindre lorsque, vers la fin, il devient victime et paye pour ses crimes passés...

Kubrick explique cet attachement par le fait que au fond de nous, chacun possède une part d'Alex, une part de violence et de cruauté, et qu'ainsi, on s'identifie au personnage... Est-ce la bonne explication ? Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c'est que plus je regarde Orange Mécanique, plus j'adore Alex. C'est grave, docteur ?

Côté casting, tous les comédiens sont excellents, depuis le quasi-inconnu Malcolm McDowell (qui avait joué dans If, de Lindsay Anderson, trois ans plus tôt) jusqu'à l'écrivain psychopathe, incarné par un Patrick Magee effrayant. L'ambiance et les décors du film, tout en se voulant légèrement futuristes, restent typiquement seventies, avec leurs couleurs pop, leurs motifs et leurs meubles arrondis, les mini-jupes et les cols "pelle à tarte"... Visuellement, le film représente parfaitement son époque.

Orange Mécanique
a fait en scandale à sa sortie à cause de certaines scènes ultra-violentes (qui n'ont absolument pas vieilli presque 40 ans après) et de scènes de sexe explicites. Le film a été censuré dans tous les cinémas britanniques jusqu'en... 2001 ! Kubrick a une façon "voyeuriste" de filmer la violence qui choque toujours autant. La séquence où Alex tabasse allègrement le vieil écrivain tout en portant un masque de théâtre et en chantant et dansant Singin' In The Rain est devenue une scène d'anthologie.

Pour terminer, le film soulève aussi un certain nombre de questions philosophiques et éthiques, dans la mesure où il montre  - et dénonce - les séquelles entraînées par le fameux traitement Ludovico ; une fois "soigné", Alex n'est plus violent, certes, mais il n'est par conséquent plus libre. Un individu dont le comportement st conditionné est-il encore un homme ? L'expérience sont Alex est victime s'avère être mise en place à des fins politiques, et la deuxième moitié du film  devient alors une lutte entre les défeuseurs du traitement (les politiciens clamant que celui-ci réduit la criminalité) et ses détracteurs (ceux qui considèrent qu'Alex n'est plus lui-même, mais une machine programmée - d'où le titre...). Le film est également une satire sociale.

Comme tous les films de Stanley Kubrick, Orange Mécanique est un chef-d'œ
uvre, un film avant-gardiste et dérangeant qui n'a pas pris une ride et est toujours considéré comme l'un des piliers du cinéma... À voir absolument !