27 février 2011

127 Heures


Titre original : 127 Hours
Réalisateur : Danny Boyle
Avec : James Franco, Clémence Poésy, Kate Mara, Amber Tamblyn...
Date de sortie : 2010
Pays : USA/Angleterre
Note : ♥♥♥♥♥  

"Lesson : don't buy the cheap made-in-China multi-tool.
I tried to find my Swiss-Army knife, but..."

[ATTENTION : cette critique contient des spoilers. Si vous n'avez pas vu le film, que vous ne connaissez pas l'histoire vraie dont il est tiré et ne désirez pas en connaître l'issue, ne lisez pas les lignes qui suivent !]

Après la critique de l'angoissant et claustrophobe Buried et son personnage enfermé dans un cercueil pendant 1h30, voici un nouvel épisode de "Je suis dans une grosse galère et j'y reste pendant toute la durée du film". Sauf que cette fois, il s'agit non pas d'une fiction sortie de l'esprit un brin tordu d'un scénariste débutant, mais d'une histoire vraie portée à l'écran avec une précision quasi-documentaire. En effet, l'homme qui a insiré le film étant encore en vie, il a pu passer du temps sur le tournage et diriger l'équipe et les acteurs afin de rendre le film aussi proche de sa vraie expérience que possible.

127 Heures raconte la mésaventure du jeune alpiniste Aron Ralston (James Franco), qui, en 2003 - alors âgé de 27 ans - est resté bloqué pendant 127 heures, donc (soit environ six jours) dans un canyon au milieu du désert de l'Utah. Parti pour ce qui était censé être une tranquille randonnée de quelques heures (pour un habitué de l'escalade comme Ralston, le parcours qu'il avait choisi ce jour-là n'avait rien de difficile), il se retrouve dans un sérieux pétrin lorsque, quelques minutes seulement après le début de son périple, il provoque accidentellement la chute d'un rocher qui lui tombe dessus, lui broyant le bras droit et le maintenant coincé contre la paroi rocheuse. Après avoir tenté, en vain, de faire bouger l'énorme roc, Aron commence à réaliser que son séjour au fond de Blue John Canyon risque d'être bien plus long que prévu, et décide dès lors de faire tout ce qui est en son pouvoir pour s'en sortir...

Bien entendu, l'imprudent Aron, très sûr de lui, n'a prévenu personne de son itinéraire et sait que personne ne s'inquiétera de son absence avant des jours. Son sac à dos contient deux petits biscuits, une gourde d'un litre d'eau, quelques cordes et mousquetons d'escalade, ainsi qu'une caméra, un appareil photo, un walkman, une lampe frontale et un canif multi-fonctions de mauvaise qualité. Détail à première vue dérisoire mais qui aura une importance significative sur la suite des événements : Aron Ralston n'a pas emmené son couteau suisse, qui d'habitude ne le quitte jamais. Dès les premières minutes du film, un plan nous montre le canif abandonné dans un placard, et on se doute que Ralston finira par le regretter amèrement. Et pour cause : au bout de six jours de lente agonie quasiment sans eau ni nourriture, le jeune homme, désespéré et à court de ressources, ne trouve pas d'autre solution que de se couper le bras pour se libérer, à l'aide de la lame tordue et émoussée de son outil multi-fonctions made in China...

Comme dans Buried, que l'acteur Ryan Reynolds portait à bout de bras, 127 Heures doit énormément à l'immense talent de son interprète, James Franco. Jusqu'alors cantonné à des seconds rôles (Spiderman...) où à des films plutôt médiocres, voire des navets (Tristan & Iseult...), il illumine littéralement le film, lui conférant une bonne partie de son originalité. Car 127 Heures n'est pas un drame larmoyant où chaque seconde nous plonge toujours plus loin dans le désespoir. Au contraire, on rit souvent - même si un peu nerveusement - devant l'extraordinaire personnalité d'Aron, brillamment interprétée par Franco d'après les témoingnages du vrai Aron Ralston. Ce dernier, même dans les situations les plus critiques, parvient à faire preuve d'optimisme et d'humour. Quelques scènes du film deviennent ainsi de vrais moments de comédie noire, notamment celles où Aron monologue devant sa caméra, faible, affamé, en proie à des hallucinations, et pourtant le sourire aux lèvres...

À ce mélange de rire et de tension s'adapte parfaitement la mise en scène très personnelle de Danny Boyle. Comme à son habitude (Trainspotting, La Plage...) le réalisateur multiplie les effets visuels (split screens, couleurs éclatantes, plans surréalistes où la caméra est placée à l'intérieur d'une bouteille d'eau, ou encore à l'intérieur du bras que Ralston s'appête à couper...) et fait de ce huis-clos rocheux une oeuvre variée et haute en couleurs, loin d'un film comme Buried où la caméra ne quittait jamais le périmètre du cercueil. Dans 127 Heures, les séquences où Aron est prisonnier du rocher alternent avec quelques flash-backs, rêves ou hallucinations qui permettent de s'évader du fond du canyon, et qui rend l'isolement d'Aron encore plus palpable lorsqu'on finit, inévitablement, par y retourner. Ces divers univers ont  même été tournés avec plusieurs médias différents : pellicule 35mm, caméscope numérique et appareil photo.

La bande originale, signée A.R. Rahman, vient compléter cette mise en scène audacieuse avec des morceaux tout aussi originaux et déroutants. Pas de musique dramatique pour accompagner la lutte pour la survie d'Aron. Pas de violons tire-larmes lors des scènes les plus émouvantes. Tout le film est rythmé par des morceaux inattendus, hypnotisants et intenses, finalement bien plus efficaces que les traditionnelles musiques pleines de pathos et d'emphase que bien des cinéastes auraient choisies. Les accords nerveux et lancinants de la guitare électrique rendent les scènes terribles encore plus crues et insoutenables.

Le son a également été travaillé de façon inhabituelle, un procédé là encore très typique de Danny Boyle. Comme dans ses autres films, le cinéaste amplifie de façon démesurée tous les bruitages qui passent normalement inaperçus : le bruit de succion des lèvres d'Aron buvant à la gourde, le "cliquetis" des fourmis se promenant sur le matériel qu'il a disposé autour de lui, ou encore le son exagérément fort (âmes sensibles s'abstenir) des os de son bras qui claquent lorsqu'il est forcé de les casser pour pouvoir procéder à l'amputation. Par moments, l'usage du son devient même totalement irréel et symbolique ; ainsi, toujours dans la scène de l'amputation, lorsqu'Aron touche (puis sectionne) le nerf de son bras avec son couteau, on entend un bref son aigu, violent, désagréable, semblable à un son de buzzer ou à une décharge électrique, qui nous fait parfaitement ressentir l'intensité de la douleur physique.

Côté scénario, Danny Boyle tente de respecter autant que possible la vraie aventure vécue par Ralston, suivant à la lettre les conseils et les souvenirs de ce dernier (qui, en plus d'être présent sur le tournage, a accepté de montrer à l'équipe du film la totalité des photos et vidéos qu'il avait tournées alors qu'il était prisonnier du rocher). Le fait que 127 Heures soit le récit exact d'une histoire vraie donne une toute autre dimension au film. Si la scène d'amputation, notamment, avait été extraite d'une œuvre purement fictive, on l'aurait probablement beaucoup critiquée : trop longue, trop dérangeante, trop de sang, trop de gros plans, pas d'ellipse, trop de "gore juste pour faire du gore". Car en effet, Boyle aurait pu choisir de raccourcir la séquence, rendant le film moins  dur pour le spectateur...

...mais ç'aurait été ne pas respecter les faits réels et aller à l'encontre de ce qu'Aron Ralston exigeait : un film à la limite du documentaire, sans concessions, sans transformations. Par conséquent, l'horreur quasi-insoutenable de la scène prend tout son sens, et la violence paraît non plus gratuite, mais nécessaire. À aucun moment, on ne tombe dans le malsain ou la complaisance, dans le glauque ou dans le pathos. Il fallait cette séquence viscérale et longue (elle dure quatre ou cinq interminables minutes) pour comprendre tout ce que le jeune homme a vécu au fond de son canyon (et encore, dans la réalité, l'amputation dura plus d'une heure - estimons-nous heureux d'avoir été partiellement épargnés).

En tous cas, la fameuse scène semble avoir fait son effet, puisque plusieurs personnes se sont évanouies au cours des premières projections du film ! Moi-même, d'habitude pas trop impressionnée par le gore au cinéma, j'avoue avoir eu du mal à ne pas me cacher les yeux derrière mon écharpe. À ma gauche, au cinéma, un homme a gardé les yeux résolument fermés durant toute la scène ; d'autres spectateurs ont tout bonnement quitté la salle. Plus que la séquence en elle-même, c'est la pensée qu'elle s'est réellement passée qui est si perturbante. Tout au long du film, on ne peut qu'admirer le courage, la persévérance et la soif de vivre de Ralston.

127 Heures est donc un film à multiples facettes, à mi-chemin entre documentaire, drame et comédie, servi par un James Franco époustouflant, une photographie éclatante, une bande sonore aussi belle que terrifiante et un scénario (réel) des plus angoissants - avec, toutefois, une fin hautement libératrice (on partage complètement l'euphorie et l'épuisement d'Aron lorsqu'il sort enfin du canyon qui a failli être son tombeau). 127 Heures a plus que mérité la salve d'applaudissements qui a retenti dans la salle de cinéma où je suis allée voir le film... Courez-y, avec le cœur bien accroché !

PS : lecteurs qui n'avez pas encore vu le film, surtout, ne vous fiez pas à la bande-annonce, qui est inutilement tapageuse et ne correspond pas du tout à l'univers du film.

19 février 2011

Buried


Titre original : Buried
Réalisateur : Rodrigo Cortés
Avec : Ryan Reynolds et les voix de Robert Patterson, José Luis García Pérez...
Date de sortie : 2010
Pays : USA
Note : ♥♥♥

"I need one million dollars by nine o'clock tonight,
or I'll be left to die in this coffin."

Lorsque Rodrigo Cortés a commencé à présenter son projet aux studios de production, on lui a ri au nez. Un scénario qui ferait au mieux un court-métrage expérimental, disent-ils. Ou une vidéo à projeter en boucle dans un musée. Personne ne croyait que Buried deviendrait un jour un long-métrage à succès. Jusqu'à ce que Studio 27 finisse par accepter de produire le projet un peu fou de Cortés.

Quel est-il, alors, ce film dont tous se méfiaient ? Le pitch tient en quelques mots : un homme dans une boîte. Ou plus précisément le camionneur américain Paul Conroy (Ryan Reynolds), convoyeur pour l'armée en Irak, enterré vivant dans un grossier cercueil de bois par des terroristes qui comptent échanger sa libération contre la modique somme de 5 millions de dollars. Le pari de Cortés est assez révolutionnaire :  rester à l'intérieur du cercueil pendant la totalité du film, soit quelques 95 minutes. Du jamais vu au cinéma, le thème ayant été seulement effleuré par Quentin Tarantino dans le second volet de Kill Bill en 2004.

Le film suit Paul en temps réel, montrant ses tentatives désespérées pour se sortir de sa situation pour le moins délicate. À sa disposition : un téléphone portable laissé par ses ravisseurs afin de pouvoir entrer en contact avec lui, un couteau suisse mal affûté et divers instruments lui servant d'éclairage : une lampe de poche, des sticks lumineux et un briquet. Ces objets ont avant tout une utilité esthétique, puisqu'ils permettent de varier les effets de lumière, passant de la blancheur blafarde de la lampe à la flamme tremblotante du Zippo, ou encore au halo verdâtre des sticks lumineux. Cette trouvaille permet une grande diversité visuelle là où ce huis-clos claustrophobe aurait vite pu devenir ennuyeux et monotone.

Mais on ne s'ennuie pas une seconde dans Buried. Au-delà d'une belle photographie sombre et contrastée, Cortés réussit le tour de force d'instaurer une tension grandissante et un suspense quasi-insoutenable sans jamais quitter l'étroit périmètre du cercueil. En ce sens, l'efficacité du film est dûe en partie à l'interprétation de son seul acteur, Ryan Reynolds, étonnant de naturel et d'humanité (pas de comportement héroïque ici ; Paul Conroy est un père de famille ordinaire qui panique et qui pleure). Le spectateur se retrouve littéralement emporté sous terre avec lui et suit, cramponné à son siège, son combat pour la survie - tentatives infructueuses de briser le cercueil, appels téléphoniques aux autorités américaines, lutte contre un serpent qui s'est infiltré dans le cercueil, manque d'eau et d'oxygène...

Cortés parvient à captiver continuellement notre attention, maintenant le suspense pendant 95 minutes sans fléchir, filmant son acteur de façon aussi réaliste qu'angoissante (longs écrans noirs pendant lesquels on entend uniquement la respiration saccadée de Conroy...). On se retrouve ainsi tout aussi étouffé et claustrophobe que le héros, et on se prend à espérer autant que lui revoir la lumière du jour. L'immersion du spectateur est totale et éprouvante pour les nerfs.

Je ne vous révélerai pas ici la chute de l'histoire (ne gâchons pas le plaisir !), excellente et totalement inattendue, mais une fois le film terminé et le générique s'affichant à l'écran, je n'ai pas pu retenir une soudaine crise de larmes - non pas à cause de la tristesse de la fin (il m'en faut plus que ça) mais surtout à cause de l'énorme dose de tension accumulée durant une heure et demie qui se relâche enfin. Le dénouement, aussi tragique soit-il, survient comme une libération, un retour à l'air libre après 95 minutes d'apnée. [Eh oui, il m'arrive de pleurer au cinéma, finalement.]

En plus d'un scénario mené d'une main de maître (certains ont été jusqu'à comparer Rodrigo Cortés à Alfred Hitchcock !) et d'une interprétation convaincante (que ce soit Ryan Reynolds, seul acteur visible du film, ou la quinzaine de seconds rôles dont on n'entend que la voix à travers le portable de Paul), Buried est également une réflexion sur la guerre et sur tout un tas de questions actuelles : le conflit irakien, les innocents massacrés, les préjugés sur l'étranger, les familles détruites par la guerre... On retiendra quelques citations prononcés par le kidnappeur irakien (José Luis García Pérez), telles que "Je te terrorise, donc je suis un terroriste", ou encore, lorsque Paul  supplie ses ravisseurs de le laisser partir, prétendant n'être qu'un simple camionneur et non un soldat : "Al-Quaida, ce n'était pas moi ; le 11 septembre, ce n'était pas moi ; et pourtant les Américains ont tué toute ma famille."

Buried est donc un film dur et intense sur tous les plans, un vrai cauchemar pour nos pauvres nerfs mais néanmoins un thriller captivant au dénouement extraordinaire. À ne pas manquer !