Réalisatrice : Valérie Donzelli
Avec : Valérie Donzelli, Jérémie Elkaïm, Frédéric Pierrot, Anne Le
Ny...
Date de sortie : 2011
Pays : France
Note : ♥♥
"Moi, j'ai peur qu'il devienne aveugle, sourd, muet, nain,
pédé, noir, et qu'il vote Front National."
J'ai comme l'impression que La Guerre est déclarée, largement encensé par le public et la critique et lauréat de nombreux prix de cinéma, fait partie de ces films que l'on n'a pas le droit de critiquer sous peine de passer pour un insensible ou un abominable sans-cœur. Cependant, j'ai été déçue, bien déçue, et j'exposerai mon opinion au risque de me faire lapider par la horde des amoureux du film de Valérie Donzelli.
Avant tout, je tiens à préciser que je comprends tout à fait le besoin qu'a eu la réalisatrice de faire ce film racontant son propre parcours, et que tous les partis-pris scénaristiques, visuels ou musicaux, ses choix de direction d'acteurs ou de mise en scène correspndent probablement au plus près à son ressenti et à ce qu'elle a voulu transmettre au spectateur de sa bouleversante expérience. Le film étant extrêmement personnel et visiblement réalisé "avec les tripes", il est difficile de juger objectivement de la qualité de ce qui nous est présenté ; seul notre propre sensibilité peut déterminer si l'on appréciera ou non ce long-métrage. Et personnellement, je ne suis pas vraiment tombée sous le charme.
La Guerre est déclarée raconte l'histoire réellement vécue par la réalisatrice et son compagnon de l'époque, Jérémie Elkaïm : la terrible découverte que leur enfant de 18 mois est atteint d'une tumeur maligne au cerveau. Le récit est donc pleinement autobiographique, et les deux parents, en plus de co-écrire le film, jouent également leur propre rôle, ne changeant que leurs prénoms (Valérie devient Juliette, Jérémie Roméo. Tu parles d'une destinée...). Étrange processus que celui de revivre pour une caméra, des années plus tard, la période qui a tant bouleversé votre vie...
Roméo (Jérémie Elkaïm), Juliette (Valérie Donzelli) et leur fils Adam (César Desseix)
Le film est davantage axé sur le parcours des parents, leur lutte, leurs galères et leur amour, que sur celui du bébé. Si certains critiques ont qualifié ce choix d'égoïste, reprochant aux deux scénaristes de reléguer leur enfant à l'arrière-plan pour se concentrer uniquement sur leur propre existence, je trouve au contraire que c'est là que réside l'intérêt du film, et ce qui l'empêche de sombrer dans le misérabilisme. Valérie Donzelli ne s'attarde pas sur la réalité glauque des hôpitaux ou les pénibles séquelles de la chimiothérapie, et préfère ne pas multiplier les scènes montrant le bébé malade et sous traitement. Ce que raconte La Guerre est déclarée, c'est le quotidien des parents en parallèle de cette vie à l'hôpital : leurs sorties, leur boulot, leurs soirées entre amis - où ils redeviennent l'espace de quelques heures un jeune couple libre et heureux, ou du moins tentent-ils de s'en persuader - ainsi que leurs doutes, leurs difficultés financières et leurs angoisses. C'est dans ces moments-là que Donzelli a eu la bonne idée d'inclure une touche d'humour ; la meilleure scène du film demeure à mon sens celle, hilarante, où le couple dresse la liste de toutes leurs peurs concernant l'opération de leur fils. Sérieuse au début, ladite liste finit par "J'ai peur qu'il devienne aveugle, sourd, muet, nain, pédé, noir, et qu'il vote Front National."... C'est également dans ces moments légers que les acteurs s'en sortent le mieux.
Le mieux, oui, parce que ce n'est pas toujours le cas. Car si les acteurs secondaires sont tous admirables (mention spéciale à Frédéric Pierrot, remarqué également dans Polisse de Maïwenn, qui interprète le chirurgien de l'enfant), on ne peut malheureusement pas en dire autant de Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm. Leur jeu est déstabilisant car très inégal. Brillants dans certaines scènes, ils sont en revanche franchement mauvais dans d'autres, récitant leur texte à la manière d'une mauvaise sitcom. S'agit-il d'un choix délibéré de la réalisatrice ? Peut-être, car les comédiens ont prouvé qu'ils pouvaient être bons (Elkaïm, lui aussi, était superbe dans Polisse). Mais certains dialogues ôtent toute crédibilité à leurs scènes tant ils sont mal délivrés. On dirait parfois que les deux acteurs ont leur script sous le nez et le lisent, de manière même pas très convaincante, sans vraiment y mettre le ton. Cette inégalité permanente m'a beaucoup dérangée.
Juliette apprenant la nouvelle du cancer de son fils
Dans un registre similaire, parlons de la mise en scène... L'argument de choix de tous les critiques, la raison de leur amour pour ce film. Une mise en scène soit-disant follement originale et rafraîchissante. Certes, originale, elle l'est, et se détache des codes du genre. Mais original est-il toujours synonyme de "mieux" ? Pas sûr. Elle est à l'image de ses interprètes principaux : irrégulière et contradictoire. Valérie Donzelli s'amuse visiblement beaucoup, multipliant les effets de style (parfois justifiés, parfois gratuits), les séquences clippesques, les accélérés et les ralentis, le flou, le montage saccadé... Encore une fois, cette forme représente peut-être au mieux l'état d'esprit du couple, mais vu de l'extérieur, ce va-et-vient est plus irritant qu'autre chose et empêche, au contraire, de se laisser emporter par l'histoire (et ce n'est pas faute d'avoir un scénario touchant et émouvant !). Une séquence du film relève du cinéma expérimental (avec la bande-son adéquate), une autre est une mini-comédie musicale où les deux personnages chantent leurs sentiments l'un pour l'autre, d'autres scènes sont très proches du documentaire... Et le tout est accompagné d'une voix off narrative péniblement redondante. Un cocktail original, c'est certain, mais pas forcément convaincant.
Quant à l'autre argument phare qui a hissé le film au range de petit chef-d'œuvre, le fameux "C'est agréablement dépourvu de sentimentalisme et de pathos"... Hum, oui, d'accord, La Guerre est déclarée comporte certes moins de pathos que beaucoup de ces drames larmoyants destinés à nous apitoyer sur le sort des pauvres personnages, mais le pathos est tout de même là, bien ancré dans certaines scènes qui auraient franchement pu être évitées. D'accord, c'est triste. D'accord, le film traite d'un sujet terrible qui ne peut qu'émouvoir. Mais justement... Un sujet suffit, inutile d'en rajouter une couche avec la mise en scène. Plusieurs films récents ont prouvé qu'on pouvait aborder les sujets les plus sombres et les plus déprimants au cinéma sans une once de pathos, et qu'ils n'en étaient que meilleurs. Pourquoi, alors, inclure dans La Guerre est déclarée des moments comme l'interminable séquence finale, où toute la petite famille (le couple, aujourd'hui séparé, avec leur véritable enfant, âgé de huit ans et guéri de son cancer) saute et s'embrasse sur une plage déserte, au ralenti, avec une musique romantico-victorieuse ? Encore une fois, je peux concevoir que Valérie Donzelli ait désiré clore son film sur une image heureuse de sa propre vie, mais de là à traîner les choses en longueur pendant presque 5 minutes (oui, cinq minutes !)... Ou encore la séquence péniblement caricaturale où tous les membres de la famille apprennent par téléphone la maladie du bébé et ont tous des réactions dramatiques dignes de Plus Belle la Vie (et vas-y que je tombe à genoux en hurlant "NOOOON !", et vas-y que je m'évanouisse dans tes bras...) ?
Le couple et leur enfant (Gabriel Elkaïm) aujourd'hui, dans la dernière scène du film
Bref, beaucoup de "Pourquoi", beaucoup de perplexité quant à la forme du film. Valérie Donzelli réalise de temps à autre de très belles séquences, uniquement pour les plomber ensuite par des scènes frisant le ridicule ou le très mauvais soap opera. Son style visuel et sonore et unique, peut-être, mais avant tout dérangeant en ce qui me concerne (et pourtant, dieu sait que j'aime l'originalité de la forme au cinéma). Trop de différences, trop d'instabilités pour pouvoir réellement s'accrocher à l'histoire.
La Guerre est déclarée aborde donc un sujet intéressant et difficile qui est malheureusement parasité par une mise en scène fourre-tout et deux acteurs principaux pas toujours à la hauteur (volontairement ou pas ?). Un exercice de style qui en séduira certains et pas d'autres.